Emmanuel Macron et Carlos Ghosn lors d’une visite à l’usine Renault de Maubeuge, le 8 novembre 2018. / POOL New / REUTERS

Editorial du « Monde ». Plus de deux mois après l’arrestation de Carlos Ghosn au Japon, les administrateurs de Renault ont enfin décidé de remplacer le PDG du groupe. Jean-Dominique Senard devrait anticiper de quelques semaines la fin de son mandat à la tête de Michelin pour prendre la présidence du constructeur automobile français, tandis que Thierry Bolloré en deviendrait le directeur opérationnel. La nomination de ce tandem, qui met fin au règne sans partage de Carlos Ghosn, devrait être avalisée, jeudi 24 janvier, lors d’un conseil extraordinaire.

Il était temps. Si l’on peut comprendre le trouble qui s’est emparé de l’entreprise, après les révélations de la justice japonaise sur la dissimulation d’une partie de la rémunération du charismatique patron de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi et sur une série d’abus de biens sociaux au détriment du constructeur japonais, le délai qu’il a fallu pour admettre que Carlos Ghosn n’était plus en situation de diriger la firme au losange a semblé interminable.

Un choix pertinent

Sous la pression de l’Etat français, qui détient 15 % du capital, le bon sens l’a finalement emporté. La nomination d’une personnalité extérieure et indépendante comme celle de Jean-Dominique Senard va permettre de faire baisser la tension d’un cran. Une certaine méfiance s’est instaurée entre Français et Japonais, les premiers soupçonnant à mots couverts les seconds de tenter de déstabiliser l’Alliance dans le but de rééquilibrer le rapport de force à leur profit. Mais, au fur et à mesure que s’accumulaient les chefs d’accusation et les documents compromettants pour le PDG déchu, le statu quo à la tête de Renault devenait intenable.

Le choix de Jean-Dominique Senard apparaît pertinent à plus d’un titre. D’abord, sa désignation permet de rééquilibrer des pouvoirs qui étaient jusqu’à présent concentrés dans les mains de Carlos Ghosn. En dissociant les fonctions de président et de directeur général, le groupe met fin à une gouvernance devenue autocratique, qui est en partie à l’origine du scandale actuel. L’arrivée du patron de Michelin va ainsi permettre d’aiguillonner un conseil d’administration qui, pendant trop longtemps, a fait une confiance aveugle à Carlos Ghosn.

Une course aux volumes au détriment de la rentabilité

Jean-Dominique Senard, qui est l’antithèse de son prédécesseur, en matière aussi bien de personnalité que de rapport à l’argent, aura également la lourde tâche de retisser des liens de confiance entre Renault et Nissan passablement distendus. Il devra comprendre comment on en est arrivé là, déterminer les responsabilités et en tirer les conséquences sur le plan de la gouvernance comme sur le plan opérationnel.

De ce point de vue, la situation n’est pas aussi brillante que le rang de numéro un mondial pourrait le laisser penser. Ce titre a été obtenu au prix d’une course aux volumes de ventes qui s’est faite au détriment de la rentabilité, notamment sur le marché américain. Du coup, Renault-Nissan-Mitsubishi n’est que la huitième capitalisation boursière du secteur. Comparée à ses concurrents immédiats, Toyota et Volkswagen, l’Alliance est largement distancée sur les principaux indicateurs de la pérennité d’une entreprise : qu’il s’agisse de la capacité d’investissement, de la recherche et développement ou des flux de trésorerie.

Ce changement à la tête de Renault doit donc être regardé comme une occasion salvatrice pour remettre à plat une Alliance qui doit impérativement retrouver le souffle des premières années dans l’intérêt bien compris de chacun des partenaires.