Des oies sauvages, à Petersdorf (Allemagne), le 8 janvier 2018. / PATRICK PLEUL / AFP

Emmanuel Macron l’avait assuré au président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), Willy Schraen, en février 2018 : en 2019, les oies sauvages pourront être abattues jusqu’à fin février. Nicolas Hulot ayant démissionné du ministère de la transition écologique, le gouvernement avait le champ libre pour tenir ses promesses. Ce fut chose faite le 3 janvier avec l’ouverture d’une consultation publique visant à autoriser cette année le « prélèvement » de 5 000 oies cendrées jusqu’au 28 février, ainsi que des oies rieuses et des moissons jusqu’au 10 février. L’arrêté correspondant (dont est exempte l’Alsace) devrait être pris dans les jours suivant la clôture de la consultation, prévue jeudi 24 janvier.

Pour tenter de peser dans la balance, défenseurs et contempteurs de la chasse ont multiplié les appels à participer à la consultation du ministère, qui comptabilisait, mercredi 23 janvier au matin, près de 50 000 contributions. La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et France Nature Environnement (FNE) ont également prévenu qu’elles attaqueraient l’arrêté dès son entrée en vigueur.

L’épisode a des airs de déjà-vu. Depuis les années 2000, les gouvernements successifs se sont cassé les dents en tentant de satisfaire, par neuf arrêtés similaires, les demandes récurrentes du milieu cynégétique, très attaché à la chasse aux oies en février. A chaque tentative, le Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative française, leur a opposé la directive européenne oiseaux qui protège les espèces en migration prénuptiale. Or en février, l’oie cendrée (chassable, en France, d’août à fin janvier) entame sa migration vers le nord de l’Europe en vue de s’y reproduire.

« Prévention des dégâts »

La stratégie du gouvernement et des chasseurs pour justifier une dérogation aux normes européennes semble cette fois bien ficelée mais repose sur un rouage juridique encore flou. « L’argumentaire annexé à l’arrêté n’a pas été rendu public, mais c’est très novateur », se félicite Willy Schraen, président de la FNC.

Pour l’heure, la note accompagnant le projet d’arrêté évoque seulement la « forte expansion » des populations d’oies cendrées et « la prévention des dégâts » dont elles sont responsables. Avec, en toile de fond, la participation de la France à l’accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie, qui inclut un volet lié à la gestion de l’oie cendrée encore à l’état de document de travail.

« A chaque fois ils utilisent de nouveaux prétextes : ils ont essayé de dire que la migration n’avait pas commencé, que c’était à des fins scientifiques, et maintenant que c’est à cause des dégâts aux cultures », dénonce Yves Verilhac, directeur général de la LPO. « Les dommages invoqués ne sont pas en France, mais dans les pays scandinaves et aux Pays-Bas », ajoute Dominique Py, de FNE. Les deux associations déplorent en outre que les arguments utilisés pour l’oie cendrée ne servent de prétexte à la chasse de deux autres espèces, les oies rieuses et des moissons, pourtant moins nombreuses.

Enjeu de taille pour le gouvernement

En cas de nouveau blocage de l’arrêté, les associations craignent que le gouvernement n’ordonne à la police de la chasse de ne pas verbaliser les chasseurs. Un procédé utilisé par Ségolène Royal en 2017, alors ministre de l’environnement, suspendu quelques jours plus tard par le Conseil d’Etat. « Si l’arrêté est cassé, c’est probable qu’il y aura encore une consigne qui permettra la chasse aux oies en février », soupire Dominique Py.

A l’aube du grand débat national, l’enjeu est de taille pour le gouvernement. Les velléités des chasseurs de rejoindre la contestation des « gilets jaunes » étaient jusqu’alors contenues par la FNC. Dans une lettre ouverte aux chasseurs datée de décembre 2018, son président, Willy Schraen, dénonçait ainsi la « situation insurrectionnelle » entraînée par le mouvement des « gilets jaunes », rappelant aux adhérents que « pour la partie chasse, vous l’avez tous compris, les choses vont se passer comme le président de la République nous l’avait promis ». Une manière de calmer le jeu au plus fort de la crise sociale.

Mais le ton pourrait changer si la promesse de M. Macron restait lettre morte. « Je ne le prendrais pas bien du tout, prévient M. Schraen. La dernière goutte pour les gilets jaunes était probablement l’abaissement de la vitesse à 80 km/heure. Pour les chasseurs, ça pourrait être la cassation de l’arrêté. »