Un autoportrait de Rumiko Takahashi. / RUMIKO TAKAHASHI

Superstar du manga et reine de la comédie romantique, Rumiko Takahashi s’est vu décerner, mercredi 23 janvier, le 46e Grand Prix de la ville d’Angoulême pour l’ensemble de son œuvre, à l’issue d’un vote réalisé auprès d’un collège d’auteurs francophones. Elle succède à l’Américain Richard Corben, que le Festival international de la bande dessinée (24-27 janvier) celèbre cette année à travers une rétrospective.

La désignation de Rumiko Takahashi n’est pas un petit événement dans le milieu de la BD où les dessinatrices, comme les auteurs nippons, ne sont que rarement gratifiées par la plus haute distinction européenne. Depuis sa création en 1974, le Grand Prix n’a été décerné qu’à un seul Japonais, Katsuhiro Otomo en 2015, et à une seule femme, Florence Cestac, en 2000 (Claire Bretécher recevant un « Grand prix du dixième anniversaire » en 1983).

Si la victoire de la mangaka face aux autres finalistes, l’Américain Chris Ware et le Français Emmanuel Guibert, peut créer un certain étonnement, des auteures et auteurs plaidaient toutefois en coulisses depuis plusieurs années pour la faire grimper dans les votes. Et rappeler ainsi que le manga tient le haut des ventes de la bande dessinée en France.

« La récompenser, c’est aussi réaffirmer que la bande dessinée n’a pas à avoir honte d’être une culture populaire, que le “tout public” n’est pas forcément synonyme de “médiocrité” et que s’adresser en priorité aux adolescents ne veut pas dire qu’on ne fait pas œuvre d’auteur » , écrivait dans une tribune début janvier la scénariste Valérie Mangin. Nombre de dessinateurs trentenaires et quadragénaires, comme Balak (Last Man) ou Elsa Brants (Save me Pythie), revendiquent d’ailleurs ouvertement l’influence de celle que ses fans surnomment depuis ses débuts la « Princesse du manga ».

Artisane de la comédie pour ados

« Maison Ikkoku » est plus connu en France pour sa version animée, baptisée « Juliette je t’aime ». / RUMIKO TAKAHASHI / TONKAM

Une grande partie des œuvres de Rumiko Takahashi, 61 ans, sont publiées en France, mais les lecteurs retiennent avant tout qu’elle est la créatrice de Maison Ikkoku (décliné en dessin animé sous le titre de Juliette je t’aime) et de Ranma 1/2. Deux séries dont les adaptations télévisuelles ont été largement plébiscitées dans le programme pour enfants « Club Dorothée » dans les années 1990, portant ainsi son œuvre au rang des mangas cultes pour les premiers lecteurs français.

Avec plus de 200 millions d’exemplaires vendus sur l’ensemble de ses séries, le statut iconique de Rumiko Takahashi dépasse toutefois la simple nostalgie. A l’image d’Akira Toriyama (Dragon Ball, Dr Slump), ses histoires ont participé aux meilleures heures des magazines de prépublication pour adolescents. Publiée dès 1987 chez l’éditeur Shogakukan, Ranma 1/2 est l’une des plus diffusées à l’étranger. Close en 38 tomes, elle met en scène la vie, au sein d’un dojo familial, d’un jeune champion des arts martiaux, Ranma Saotome, qui, victime d’un maléfice, se transforme en fille au contact de l’eau.

Un grand soin des personnages

« Ranma 1/2 » a connu un succès international. / RUMIKO TAKAHASHI / GLÉNAT

Née en 1957 à Nigata, Rumiko Takahashi commence sa carrière en 1978 avec Urusei Atsura (Lamu en français) après avoir appris son métier dans la prestigieuse école de manga Gekiga Sonjuku. A la différence d’une majorité de ses consœurs, l’auteure ne va pas adresser ses mangas à une cible féminine, en se rangeant dans le registre de manga « shojo », mais dessiner des « shonen », des histoires destinées aux garçons. Elle sera l’une des premières femmes à se lancer dans ce segment, inspirant par la suite de nombreuses artistes. Modèle de professionnalisme et de ponctualité, Rumiko Takahashi force aussi l’admiration de ses pairs dans le milieu de l’édition.

Virtuose de l’humour potache et tonitruant, l’ancienne élève du scénariste et romancier Kazuo Koike (Lone Wolf & Cub, Crying Freeman) soigne aussi la progression de ses personnages. Elle ne manque pas non plus d’exploiter les tensions sentimentales et hormonales entre eux, tout en créant des héroïnes remarquables pour l’époque. Plus que des faire-valoir et des cibles à fantasmes, les filles du « Rumic World » (le nom que l’auteure donne parfois à son univers) se révèlent combatives, intelligentes, chevronnées en arts martiaux pour certaines.

En quarante ans de carrière, la mangaka a enchaîné les séries et s’est également essayée à d’autres registres comme l’horreur et le fantastique, avec Mermaid Saga (1984), mais aussi la chronique sentimentale pour adultes à travers Maison Ikkoku (1980), un triangle amoureux autour d’une jeune veuve, tenancière d’une pension de famille. Sa dernière série, Rinne, s’est achevée en décembre 2017.