La Westminster Magistrates’ Court de Londres se prononcera mardi 26 février sur la demande d’extradition vers la France d’Alexandre Djouhri. La juge Vanessa Baraitser l’a indiqué mardi 22 janvier à l’issue de deux journées d’audience, souhaitant prendre du temps avant de rendre sa décision sur ce dossier à la fois très technique sur le plan du droit et particulièrement sensible politiquement. Les deux parties ont jusqu’à jeudi pour transmettre leurs conclusions à la cour. « On est au pays de l’habeas corpus, a souligné M. Djouhri qui s’est dit serein et confiant. Ils m’ont fait un kidnapping judiciaire et m’ont sciemment déporté à Londres non pas pour m’entendre mais bien pour me jeter en prison. Sauf que, contrairement à ce que disent les juges français politisés, je n’ai jamais été en cavale. »

L’homme d’affaires franco-algérien normalement établi en Suisse, âgé de bientôt 60 ans, est soupçonné d’être au cœur de l’affaire dite du financement libyen de la campagne de son ami Nicolas Sarkozy en 2007. L’intermédiaire privilégié sur de grands contrats internationaux en Afrique et au Moyen-Orient, sous la droite, depuis Jacques Chirac, est soupçonné d’avoir mis son lacis de circuits financiers opaques au service d’un financement politique illégal par la Libye de Mouammar Kadhafi. Ce qu’il dément fermement, pointant un « dossier vide à l’issue de sept ans d’enquête à Johannesburg, Genève, Londres, Kuala Lumpur… ». Sa maison et ses bureaux genevois avaient été perquisitionnés en 2015.

Courant décembre 2017, un mandat d’arrêt européen avait été émis à la demande de la justice française, le visant pour « faux et usage de faux, corruption active, corruption active d’agent étranger, complicité, recel et blanchiment de détournement de fonds publics, blanchiment de corruption et blanchiment de fraude fiscale ». M. Djouhri a été arrêté le dimanche 7 janvier, dans l’après-midi, à l’aéroport de Londres Heathrow, en provenance de Genève. Il a été placé en détention avant d’être hospitalisé et de se voir accorder une libération sous contrôle judiciaire.

Juge agacée

La défense s’est interrogée, mardi 22 janvier, sur les raisons qui ont poussé les autorités suisses à le laisser s’envoler vers la capitale britannique après l’avoir « retenu à la frontière », comme il dit, pour un contrôle et avoir photocopié ses passeports français et algérien. Son avocat suisse, Jean-Luc Herbez, l’un des quatre témoins cités par la défense, a affirmé que « le mandat d’arrêt européen était vicié ». Selon lui, « ce mandat comportait des manquements et les autorités [helvètes] ont considéré qu’il n’était pas applicable en Suisse où M. Djouhri est résident depuis vingt-quatre ans et que l’argument du risque de fuite soulevé par les autorités françaises n’était pas valable ».

S’en est suivi le témoignage du professeur de droit de l’université Paris-II-Panthéon-Assas, Didier Rebut, spécialiste de droit pénal, qui est revenu sur les termes de la convocation d’Alexandre Djouhri par les autorités françaises. En 2016, les policiers, sous l’autorité des magistrats, avaient contacté l’intermédiaire par appel téléphonique notamment à son domicile, reçu par son épouse, puis par e-mail, SMS et message sur WhatsApp. « Aucun texte de procédure pénale en France ne prévoit de tels procédés. Selon la Cour de cassation, ces convocations informelles donc ne sont pas sources d’obligation. Si la personne décide de se présenter, c’est volontairement », a souligné M. Rebut.

Ce que conteste l’avocat du Service des poursuites judiciaires de la Couronne (Crown Prosecution Service), Benjamin Watson, qui représente la justice française. « Rien dans la loi française n’interdit à un policier ou à un juge de laisser un message pour convoquer un individu », dit-il, citant trois précédentes affaires où des individus avaient répondu à des convocations reçues par des voies similaires.

Un peu agacée par ces débats d’exégètes, éclairant finalement assez peu la Cour, la juge britannique, Vanessa Baraitser, a fini par clairement demander aux témoins de la défense ce que la justice française aurait dû faire et pourquoi elle exigeait une « présence physique » de M. Djouhri sur son territoire. « Il y a beaucoup de mises en examen à distance, rétorque Didier Rebut. Soit le juge d’instruction se déplace, soit il recourt à la visioconférence, soit il demande à un juge étranger de procéder à sa place à la mise en examen ».

« Je n’ai pas à coopérer avec les juges »

Début avril 2018, Alexandre Djouhri avait chargé son avocat historique, Pierre Cornut-Gentille, d’écrire aux magistrats français pour indiquer qu’il était « disposé à être entendu ». Les juges s’étaient déplacés à Londres, en vain. L’audition tant attendue n’avait pu avoir lieu. M. Djouhri ayant produit un certificat médical dans lequel on pouvait lire que « l’état de son cœur ne s’était pas amélioré ». Son médecin concluant : « Je recommande fortement qu’il ne soit pas exposé à une situation de stress qui pourrait provoquer une attaque cardiaque majeure. » Le 28 septembre, dans un communiqué, Alexandre Djouhri avait fait savoir : « Je n’ai pas à coopérer avec les juges. J’ai à répondre à des questions qui montreront que ce dossier est vide et que je n’ai strictement rien à me reprocher. »

Au cours de ces deux journées d’audience, les accusations portées par la justice française à son encontre n’auront finalement été abordées que brièvement. Il est notamment soupçonné d’avoir mis en place un montage financier douteux autour de la vente à un prix largement surestimé d’une villa située dans le sud de la France à la filiale suisse du fonds d’investissement libyen alors dirigé par son « frère » Bechir Saleh, directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi. Selon l’accusation, l’argent perçu sur cette vente aurait en partie servi à financer l’acquisition par Claude Guéant – secrétaire général de la présidence de la République de 2007 à 2011, puis ministre de l’intérieur jusqu’en 2012 – d’un appartement parisien à hauteur de 500 000 euros. Pour ces faits, ce dernier a été mis en examen pour « faux » et « blanchiment » puis en septembre 2018 pour « corruption passive », « recel de détournements de fonds publics » et « complicité de financement illégal de campagne électorale ».