Abou Bakar Baachir, dans sa prison de Bogor, en Indonesie, en janvier 2019. / ANTARA FOTO / REUTERS

Le président indonésien Joko Widodo a finalement décidé de surseoir à la libération d’Abou Bakar Baachir, 80 ans, l’inspirateur du groupe djihadiste qui a perpétré en 2002 le sanglant attentat de Bali (202 morts). Vendredi 18 janvier, le chef de l’Etat avait cependant annoncé qu’il allait libérer le prédicateur extrémiste « pour raisons de santé ». « Il est vieux », avait dit le président, pour justifier sa décision.

Abu Bakar Bashir est également l’ancien chef spirituel de l’organisation Jemaah Islamiyah, qui prône l’imposition de la charia et l’instauration d’une république islamique dans le plus grand pays musulman du monde. Depuis 2011, il purge une peine de quinze ans de prison.

La décision de « Jokowi », surnom du président, avait provoqué l’indignation de certains cercles libéraux en Indonésie, mais avait également été critiquée par l’Australie : 80 de ses ressortissants ont péri dans les attentats perpétrés contre des boîtes de nuit situées près de la très touristique plage balinaise de Kuta. Le premier ministre australien, Scott Morrison, avait déclaré samedi avoir pris contact avec le gouvernement indonésien après l’annonce de l’élargissement anticipé de l’extrémiste. « Nous n’avons pas changé d’avis, a-t-il dit. Nous avons toujours exprimé les plus profondes réserves à ce sujet. »

Les pressions australiennes ou internes à l’Indonésie ont apparemment eu des effets : le palais présidentiel a annoncé mercredi en fin de matinée que le gouvernement a décidé de renoncer à libérer Abou Bakar Baachir, en raison du fait qu’il « refuse de prêter allégeance au “pancasila” », l’idéologie de l’Etat indonésien, que la principale figure du djihadisme indonésien ne veut pas reconnaître. En dépit des succès engrangés par les unités antiterroristes du pays depuis une quinzaine d’années, les djihadistes n’ont toujours pas baissé les bras, comme l’ont montré les attaques d’églises chrétiennes en 2018.

« Message désastreux »

L’annonce initiale du président Joko Widodo, musulman modéré et partisan du système de laïcité à l’indonésienne, n’était sans doute pas dépourvue d’arrière-pensées politiciennes : le chef de l’Etat espère être réélu lors de la présidentielle du 19 avril et, même s’il apparaît le mieux placé pour gagner, il entend reconquérir l’électorat musulman conservateur – qui l’accuse parfois de « communisme »… L’opposant déclaré du président sera à nouveau Prabowo Subianto, ancien chef des forces spéciales de l’armée, qui avait échoué lors du précédent scrutin en 2015 et est le candidat favori des islamistes.

Lors des attentats de Bali, en 2002. / Radar Bali / AP

« Au vu de ce contexte, il est assez facile de penser que [la promesse de libérer Baachir] illustre la volonté de Jokowi de gagner des voix musulmanes », analysait lundi l’éditorial du quotidien Jakarta Post, qui s’est indigné en ces termes de l’annonce de la possible libération : « La décision de libérer Baachir est inappropriée, tombe au mauvais moment et est légalement discutable. Elle enverrait un message désastreux à nombre des soutiens de Jokowi et à la communauté internationale. »

Même si les thèses du djihadiste incarcéré restent minoritaires dans l’archipel, l’Indonésie est aux prises avec la montée d’une vague ultrareligieuse, comme l’a montré le succès de grandes manifestations organisées depuis 2017 par des mouvements islamistes à Djakarta.

Abou Bakar Baachir a passé de nombreuses années en prison et a été incarcéré à plusieurs reprises : en 2005, il avait été jugé pour complicité dans l’attentat de Bali et avait été condamné à une peine modérée de deux ans et demi de prison, finalement réduite. En 2010, le religieux avait cependant à nouveau été incarcéré, puis condamné l’année suivante pour avoir été l’instigateur de l’organisation de camps d’entraînement djihadistes dans la province d’Aceh, au nord de Sumatra. Il avait ensuite, depuis sa prison, prêté allégeance à l’organisation Etat islamique.