L’avis du « Monde » – à voir

Il serait fâcheux de bouder L’Ordre des médecins, le premier long-métrage de David Roux, sous prétexte qu’il nous envoie une énième fois à l’hôpital, milieu abondamment mis en scène dans les fictions. Et tout récemment encore par Thomas Lilti, avec Première année (sorti en septembre 2018), puis Hippocrate, l’adaptation en série de son film homonyme (2014), diffusée en novembre 2018 sur Canal+.

Pour autant, L’Ordre des médecins apporte sa touche personnelle et intime à ce territoire où la fragilité des patients demeure suspendue au diagnostic du médecin, et la solidité de ce dernier à sa capacité de garder la bonne distance. De part et d’autre, la frontière est ténue entre ce qui encourage à tenir et ce qui fait s’écrouler. C’est cette faille qu’explore avec une justesse troublante et une parfaite mesure le film, largement autobiographique, de David Roux.

Fils et frère de praticien, le réalisateur, 41 ans, sait de quoi il parle. Dès l’enfance, l’hôpital, où exerçaient ses parents, lui a été un lieu familier. Il a toujours pensé qu’il lui en inspirerait un film mais il lui a fallu longtemps avant de passer à l’acte. La mort de sa mère, survenue en 2014, après des mois d’hospitalisation, l’y a enfin décidé. Le drame est au cœur de L’Ordre des médecins, qui soumet son personnage principal, Simon (Jérémie Renier), à une épreuve douloureuse dont l’expérience inédite brouille ses repères et renverse ses certitudes professionnelles.

Interprétation exacte

Pneumologue dans un grand hôpital parisien, Simon est, à 37 ans, un ponte dans sa spécialité, un modèle pour les internes de son service. Son profil se dessine en quelques scènes qui le montrent attentif à ses patients (mais point trop proche), estimé de ses collègues, sûr dans ses jugements, dépourvu d’une vie extérieure, affective ou amoureuse. Du moins le croit-on, jusqu’au moment où sa mère (Marthe Keller) est admise en urgence dans son établissement, pour un cancer qui laisse peu d’espoir de guérison.

Cette arrivée fait surgir dans le champ la famille de Simon, son père (Alain Libolt) et sa sœur (Maud Wyler) qui attendent de lui, médecin émérite, les mots susceptibles de les rassurer. Simon lui-même aimerait se les formuler, et les leur transmettre, il se surprend à y croire encore, exige des examens supplémentaires dont il sait qu’ils sont inutiles. A l’inverse, le premier long plan d’ouverture du film nous l’avait présenté en train de convaincre ses confrères de cesser l’acharnement thérapeutique sur une patiente.

Le film s’accroche, au jour le jour, aux liens qui se resserrent au sein de cette famille dont la pudeur n’empêche pas les sentiments

A ce point de basculement où la raison vacille, le film s’accroche, au jour le jour, aux liens qui se resserrent au sein de cette famille dont la pudeur n’empêche pas les sentiments, ni le désir de s’abandonner à quelques confidences par lesquelles leur histoire se précise. Ce quotidien ­s’accompagne de gestes simples, familiers, qui, dans ce moment douloureux, revêtent une tendresse infinie. La fille qui maquille un peu sa mère pour qu’elle paraisse moins pâle, le fils qui lui masse les jambes et lui humecte les lèvres montrent ce que la peur empêche de dire. Ces gestes émeuvent. L’interprétation exacte des acteurs bouleverse.

La mère qui s’éteint, digne, effrayée et cependant joyeuse (car on rit, on chante et on danse aussi dans le film de David Roux), fait sauter les digues émotionnelles, dans cet univers clos, à la fois clinique et mental. Le réalisateur s’attache néanmoins à les tenir en respect par une mise en scène et un cadre solides dont l’effet est de rendre à l’hôpital cette atmosphère étrangement immobile. Laquelle suggère que le fracas, circonscrit en surface par le rythme immuable des soins, des visites, des examens et des réunions, demeure au fond invisible. Il se manifeste évidemment ailleurs, dans des profondeurs inaccessibles, à l’intérieur de chacune et de chacun. Des profondeurs auxquelles le cinéaste donne une représentation concrète, chaque fois qu’il nous conduit dans les entrailles de l’hôpital, un dédale souterrain de couloirs et de tuyauteries, où les médecins viennent régulièrement prendre leur pause.

L'Ordre des Médecins bande-annonce, sortie le 23/01/2019
Durée : 01:41

Film français de David Roux. Avec Jérémie Renier, Marthe Keller, Zita Hanrot (1 h 33). Sur le Web : distrib.pyramidefilms.com/pyramide-distribution-catalogue/l-ordre-des-medecins.html