France 2, mercredi 23 janvier à 21 heures, série

Une série, diffusée à une heure de grande écoute par France 2, dont le cadre et les péripéties seraient sis dans le milieu de la musique classique, et, plus précisément, dans les arcanes volontiers chicaneurs d’un orchestre symphonique ? En voilà une bonne idée, en voilà une bonne nouvelle !

On précisera qu’elle n’est pas neuve : OCS diffuse depuis quatre saisons la série nord-américaine Mozart in the Jungle, créée par ­Roman Coppola, Jason Schwartzman et Alex Timbers, laquelle raconte une histoire ­connexe qui a de toute évidence inspiré les auteurs de Philharmonia.

Mozart in the Jungle fait le portrait outré et grotesque d’un chef charismatique – calqué sur la personne du Vénézuélien Gustavo Dudamel – venu « sauver » un orchestre new-yorkais. Mais les invraisemblances de la série ont paru d’autant plus crédibles que la vie d’un orchestre symphonique est peu connue du grand public.

Lire la critique de « Mozart in the Jungle »  : Mozart dans le caniveau

Bien entendu, ce monde à part qu’est l’orchestre peut inspirer des extrapolations satiriques comme les imagina, dans Prova d’orchestra (1978), Federico Fellini. Mais les auteurs de Mozart in the Jungle, pas plus que ceux de Philharmonia, n’ont l’esprit carnassier et astringent du génie italien.

La série de France 2 s’enfonce d’ailleurs plus que Mozart in the Jungle dans l’invraisemblable et le ridicule. Exemple : la nouvelle chef (Marie-Sophie Ferdane), fraîchement débarquée de New York pour prendre la suite du chef titulaire mort d’une crise cardiaque, relègue le premier violon solo au dernier rang et le remplace par une débutante qu’elle prend sous son aile. D’abord : on ne répudie pas ainsi ce musicien-clé, primus inter pares. Ensuite, quand bien même le procédé serait possible, on l’indemnise. De sorte qu’il y a peu de chance pour qu’on le voie, ainsi que dans Philharmonia, jouer et faire la manche dans le métro dès le lendemain. (On ne sait pas pourquoi, il va revenir dans l’orchestre à la fin de la série.)

Le directeur général, ignoblement misogyne, s’oppose à la nouvelle venue qu’on lui aurait imposée, tandis qu’il couche avec l’un des représentants syndicaux, le hautbois solo, misogyne lui aussi mais bisexuel – normal : il joue d’un instrument à anche double. On n’est pas de ceux qui voient de l’homophobie partout, mais associer l’homosexualité à une détestation aussi caricaturale des femmes est pour le moins gênant.

Une consolation

La chef de Philharmonia est un personnage si outré qu’il a fait sortir de ses gonds, sur Twitter, la chef d’orchestre « historique » Claire Gibault, après qu’elle eut assisté à une projection de la série. Elle a précisé au Monde :

« Je suis sortie après le premier épisode, en me sentant honteuse et triste face à l’image du métier de chef. Celui-ci demande un sens de la diplomatie, de l’échange avec les musiciens : tout l’inverse de ce dont témoigne le personnage principal qui dirige en stilettos et en Perfecto et qui, de surcroît, est une cinglée et possiblement une tueuse ! »

Claire Gibault poursuit : « Non seulement, sa gestique n’a pas la moindre crédibilité, la moindre musicalité, mais rien n’a le moindre rapport avec la réalité du métier. » On aura au moins échappé aux acteurs contrefaisant malhabilement le jeu d’un instrument : Marie-Sophie Ferdane et Lina El Arabi sont violonistes. Ce qui rend leur rôle un tant soit peu ­crédible – même si la première aurait gagné à être « coachée » plus sérieusement.

Ce thriller psychologique chemine vers l’élucidation d’un crime au prix de situations dignes d’un roman-photo

Le lecteur non mélomane pourrait dire : « Arguties de spécialistes ! » A quoi l’on rétorquera : quand Thomas Lilti, dans sa remarquable série Hippocrate, sur Canal+, s’immerge dans le milieu hospitalier, les faits, gestes et ­paroles sont, au minimum, vraisemblables, sinon véridiques. Mais le plus ennuyeux, avec Philharmonia, est que le pire n’est pas dans le manque de véracité des faits mais dans le scénario et les dialogues, pitoyables.

Ce thriller psychologique chemine vers l’élucidation d’un crime au prix de situations dignes d’un roman-photo sorti du Mode de Paris de nos grands-mères, avec une tonne de bons sentiments et de perles, comme ce conseil de grand sage qu’adresse la chef à sa protégée : « Une carrière, ça se construit sur la durée… Si tu es mal entourée, si tu es trop pressée, tu vas te briser les ailes… » Ou, aux musiciens (parlant d’une œuvre de son mari qu’elle a imposée) : « Je voudrais que vous sentiez la puissance de cette musique dès le début… »

Philharmonia procure au moins une consolation : à mesure que les épisodes progressent et que le niveau s’effondre, on s’esclaffe devant ce colossal ratage (qui contamine le jeu de presque tous les acteurs). Au point qu’il ferait prendre le feuilleton Plus belle la vie, sur France 3 ­chaque soir ­depuis quatorze saisons, pour un chef-d’œuvre hautain et ­exigeant.

Philharmonia, série créée par Marine Gacem. Avec Marie-Sophie Ferdane, Lina El Arabi, Laurent Bateau, François Vincentelli, Tom Novembre, Olivier Chantreau, Véronique Jannot et Jacques Weber (Fr., 2019, 6 × 52 min.) www.france.tv/france-2/philharmonia