L’avis du « Monde » – à voir

Les listes de navets sont souvent nourries des meilleures intentions. Et c’est presque un miracle que The Hate U Give – La Haine qu’on donne ait résisté au poids des aspirations qui ont présidé à sa naissance. Il s’agissait de pro­poser au public adolescent amé­ricain, toutes communautés ­confondues, un récit tragique mais édifiant puisé dans l’une des pires réalités que connaissent les Etats-Unis : les morts de jeunes Afro-Américains sous les balles de la police. Didactique dans sa structure, édulcoré dans sa représen­tation de la réalité, entravé par les commandements de la censure, The Hate U Give parvient pourtant à une intensité, à une vérité rares dans les films pour teenagers.

Destiné à cette classe d’âge, le ­roman d’Angie Thomas (Nathan, 2017) dont est tiré le scénario, ­signé Audrey Wells, de The Hate U Give séjourne depuis des mois en tête des best-sellers américains. Son personnage principal, Starr Carter, une lycéenne de 16 ans, a trouvé sa place dans l’imaginaire adolescent américain, sans tomber amoureuse d’un vampire, sans participer à des compétitions barbares. Ce qui fait d’elle une héroïne n’a rien d’exceptionnel, et l’une des tâches que se sont assignées réalisateur et scénariste consiste à démontrer que ce qui survient relève d’une sinistre normalité.

Starr Carter (Amandla Sternberg) vit dans le ghetto afro-américain d’une ville fictive. Son père Maverick (Russell Hornsby) est aujourd’hui commerçant. Il fut délinquant et militant. The Hate U Give s’ouvre sur un flash-back. Starr a 9 ans, et son père lui administre une leçon de savoir survivre : comment se comporter lorsqu’un policier arrête la voiture qui vous transporte.

Hors du ghetto

Dans la journée, la jeune fille fréquente un lycée hors du ghetto, sur les instances de sa mère, Lisa (Regina Hall), infirmière qui aspire à quitter le quartier. Un samedi soir, la bonne élève se laisse entraîner dans une fête qui est interrompue par un échange de tirs. Khalil (Algee Smith), un joli garçon, ex-amour d’enfance, propose à Starr de la reconduire. Dans une rue déserte, une voiture de police fait hurler sa sirène pour intimer aux jeunes gens de s’arrêter.

Par la grâce d’Amandla Sternberg, assurée et précise, ces premières séquences dessinent vigoureusement le dilemme dans lequel l’héroïne de The Hate U Give va se trouver enfermée. Sa double appartenance – à une famille du ghetto, à une communauté de lycéens destinés aux grandes universités – la pousse à prendre ses distances avec ces deux écosystèmes. Elle cache son petit ami blanc à son père tout en refusant de se conformer aux exigences de l’élégance féminine de la rue que prône son amie d’enfance. Quand ses camarades de classe affectent de parler comme le rappeur Kendrick Lamar, elle les écoute avec un amusement pas très éloigné du mépris. Mais le regard qu’elle pose sur ses voisines n’est guère plus charitable.

La mise en scène de George Tillman Jr. ne fait rien pour assouplir la volonté didactique de son film

Lorsque la tragédie frappe, malgré les conseils paternels, elle est terrifiée à l’idée de témoigner publiquement des circonstances de la mort de Khalil, ce qui l’obligerait à révéler les stigmates (la mauvaise adresse, la mauvaise généalogie) et – croit-elle – à renoncer à son projet d’évasion du ghetto, via l’université. Mais une fois apaisée la tempête sous le crâne de Starr, avec l’appui de ses deux parents, la trajectoire de The Hate U Give se fait plus simple, plus démonstrative. Les personnages secondaires (comme l’oncle policier qu’interprète Common) deviennent de simples effigies, soigneusement disposées sur l’éventail des réactions que provoquent les brutalités policières dans la société américaine.

La mise en scène de George Tillman Jr. ne fait rien pour assouplir cette volonté didactique. Le réalisateur n’est pas servi par l’interdiction qui lui est faite de mettre dans sa bouche le vocabulaire en usage aussi bien dans les couloirs de lycée que dans les rues des quartiers afro-américains. Pour être sûr de toucher le même public que le roman, les producteurs du film ont visé une classification « PG-13 », qui interdit les jurons. Malgré ces handicaps, le final spectaculaire de The Hate U Give ramène le film à ses raisons d’être – le partage d’une expérience, le début d’une conversation.

The Hate U Give - La haine qu'on donne | Bande-Annonce Officielle | VF HD | 2019
Durée : 01:31

Film américain de George Tillman Jr. Avec Amandla Sternberg, Regina Hall, Russell Hornsby, Common (2 h 12). Sur le Web : www.foxfrance.com/the-hate-u-give et www.foxmovies.com/movies/the-hate-u-give