Anne Hidalog, à Lausanne, le 12 juillet 2017. / FABRICE COFFRINI / AFP

Anne Hidalgo l’a martelé pendant des années : avec elle, pas question de créer une police municipale à Paris. « Je suis contre », affirmait-elle en 2014. Une telle structure, réclamée par la droite, serait « trop coûteuse », argumentait-elle deux ans plus tard. « Ce serait prendre un risque énorme pour la sécurité des Parisiens, des touristes, de toutes celles et tous ceux qui fréquentent la métropole, que de s’engager de façon aventureuse dans la création d’une police municipale », ajoutait-elle quelques mois plus tard.

« Fermement opposée » jusqu’en 2018 à la mise en place d’une telle police, la maire socialiste de Paris a désormais changé d’avis. Durant l’été, elle avait ouvert la porte à un revirement, en déclarant qu’elle n’avait plus de tabou sur le sujet, et en commandant un audit à un cabinet privé, Eurogroup Consulting. Ce document, présenté vendredi 25 janvier aux élus parisiens, a achevé de la convaincre. « Il est temps de franchir le pas, et de créer une police municipale à Paris », affirme-t-elle à présent au Monde.

Le dossier sera discuté lors du conseil de Paris prévu à partir du 4 février. Il a toutes chances d’y provoquer de fortes crispations dans le propre camp d’Anne Hidalgo. « Engager la majorité de gauche sur un tel projet à un an de l’élection, entre quatre portes, sans en débattre avec les Parisiens, cela pose problème, s’élève d’emblée Nicolas Bonnet, le patron des communistes au conseil de Paris. On rentre dans un engrenage qui va coûter très cher et va entraîner un désengagement de la police nationale, comme cela s’est vu à Marseille ou Nice. »

200 agents recrutés d’ici à 2020

L’élue socialiste, elle, entend aller vite. Contrairement à certains, elle estime que la création d’une police municipale ne nécessite pas de loi, mais de simples textes réglementaires, plus rapides à prendre. « J’en ai parlé lundi au ministre de l’intérieur, Christophe Castaner. Je lui ai dit qu’il n’y avait pas de piège », confie-t-elle. Conclusion de cette conversation : « L’Etat est prêt à nous accompagner. »

Pour sa part, la maire compte lancer immédiatement les mesures qui dépendent d’elle. Elle veut recruter 200 agents, 60 d’ici à juillet, les autres par concours fin 2019 ou début 2020, et acheter de nouveaux uniformes ainsi que des gyrophares. Une première étape.

Pour Anne Hidalgo, créer une police municipale à Paris marque une double rupture. Historique, d’abord. En matière de maintien de l’ordre, Paris se trouve depuis des siècles dans une situation spécifique. Son maire n’y a pas les mêmes pouvoirs que dans les autres villes. Selon un arrêté du 12 messidor an VIII (1er juillet 1800), la compétence sur ce terrain appartient au préfet de police, à l’Etat. Un Etat qui s’est toujours défié de la capitale, de son peuple turbulent, si prompt à prendre les armes. Faut-il vraiment lui donner sa propre police, alors que l’enjeu consiste en bonne partie à gérer des événements nationaux, des visites de chefs d’Etat étrangers aux manifestations des « gilets jaunes » ? « Le maire de Paris est le seul maire de France à ne détenir strictement aucun pouvoir de police municipal », déplorait déjà en 1983 Jacques Chirac, premier maire de l’époque moderne.

Depuis, la ville a récupéré quelques compétences, notamment en matière de salubrité sur la voie publique. En 2018, après la réforme du statut de Paris, le contrôle du stationnement a aussi été transféré à la Ville, avec 1 300 agents de la Préfecture de police, les anciennes « pervenches ». Résultat : la direction de la prévention, de la sécurité et de la protection compte à présent 3 200 personnes, chargées notamment de verbaliser ceux qui se garent mal, font du bruit la nuit, urinent dans la rue, etc.

« C’est plus qu’un embryon de police municipale, estime Anne Hidalgo. C’est une vraie police, mais qui n’en porte pas le nom. » A ses yeux, il est temps de la nommer, et de la renforcer par des embauches. « Ce sera une police chargée de faire respecter les règles du quotidien, sans arme à feu, sur le modèle de ce qui se fait à Bordeaux, Grenoble ou Lille, explique-t-on à la Mairie. La lutte contre les délits comme l’usage de stupéfiants ou les cambriolages, restera, elle, de la compétence la police nationale. »

Une police « du quotidien »

La mise en place d’une telle police, même non armée, constitue aussi une rupture politique, tant il s’agit d’une mesure estampillée « de droite », et jusqu’à présent refusée par la gauche. En s’emparant d’un totem de droite à quatorze mois des municipales, Anne Hidalgo va fatalement être accusée d’effectuer un virage sécuritaire à visée électoraliste. D’autant que la maire justifie son changement de cap en avançant une analyse qui est déjà celle du parti Les Républicains : depuis les attentats de 2015, « la police nationale est mobilisée par la lutte contre le terrorisme, le grand banditisme, ce qui laisse un vide pour la police du quotidien ».

Quant aux arguments qu’elle opposait à la création d’une police municipale, la maire les contre à présent. Le coût ? « Cela va coûter de l’argent, mais fait partie des choix politiques », dit-elle, sans donner de chiffre précis. L’éventuel retrait de la police nationale ? Anne Hidalgo prévoit de signer un « contrat pluriannuel » dans lequel l’Etat s’engagera à maintenir les effectifs de la police dans les commissariats.

Cet argumentaire suffira-t-il à apaiser les craintes et faire passer une réforme symboliquement très forte ? Le débat commence.