La page d’accueil de la plate-forme Kiro’o Rebuntu. / DR

Henry Mandeng et Narrel* partagent le rêve de devenir leur propre patron. Etudiants en action commerciale, « meilleurs amis du monde depuis l’âge de 7 ans », ils se sont mis en tête de lancer ensemble une start-up de production et de vente en ligne de produits agricoles. Reste à résoudre le problème majeur : le financement.

Attablés dans un restaurant au quartier Bonamoussadi à Douala, capitale économique du Cameroun, tous deux réfléchissent aux moyens de contourner ce « redoutable blocage ». « On a loué une toute petite parcelle de terrain pour expérimenter : on y cultive des produits frais. Mais il nous faut de l’argent pour avancer », soupire Narrel, fils d’un homme d’affaires.

« Employer, payer des engrais, acheter des pesticides, des semences, financer le transport, les machines, les ordinateurs », renchérit Henry, casquette de baseball sur la tête. « C’est vraiment dur de trouver des fonds. On y a mis toutes nos économies, ajouté les aides de nos familles et ça suffit à peine pour la phase expérimentale », regrette Narrel. Ces problèmes de financement auxquels ils sont confrontés restent un défi majeur pour tous les jeunes entrepreneurs camerounais.

Stratégies et petits secrets

Pour aider à passer cette barrière, Olivier Madiba, le fondateur de Kiro’o Games, premier studio de création de jeux vidéo au Cameroun, a lancé Kiro’o Rebuntu. Cette plate-forme de mentorat digital veut enseigner la levée de fonds aux entrepreneurs d’Afrique francophone. Olivier Madiba n’a rien inventé. Il s’est juste appuyé sur sa propre expérience de créateur à qui il a fallu 13 ans pour réaliser son rêve : produire des jeux vidéo. De 2013 à 2015, sa start-up a réussi à lever 130 millions de francs CFA (198 000 euros) auprès de plusieurs investisseurs internationaux. Une réussite qui fait pâlir d’envie la concurrence, mais qu’Olivier Madiba veut aujourd’hui partager.

Pour cela, le créateur a imaginé une formation en ligne. Pour 10 000 francs CFA (15 euros), chaque inscrit a accès à l’Ebook qui retrace les secrets du succès de ce magna du jeu vidéo. Et ce n’est pas tout. Partant du principe qu’une entreprise requiert un ensemble de compétences, Kiro’o Rebuntu met à la disposition des porteurs de projet une méthode de recrutement. il s’agit de trouver des compétences sans trop dépenser. Toutes ces stratégies et ces petits secrets de gestion de projets que révèle Olivier Madiba sont pensés et adaptés à l’environnement africain. L’abonné peut même poser ses questions à un groupe privé joignable en ligne et être en réseau avec les entrepreneurs qui partagent la même culture d’entreprise.

La plate-forme a déjà accompagné l’accouchement de beaux projets. Jewash, le service de pressing à domicile camerounais lancé fin 2016, a amélioré sa structure et son rendement grâce à ce service. Inscrit sur la plate-forme en octobre 2017, Kenneth Fabo, son cofondateur, voulait bâtir une équipe solide et, surtout, préparer un bon dossier d’investissement. « On s’est quand même dit que si Olivier Madiba a réussi à lever 130 millions de francs CFA sans avoir besoin de banques, il fallait qu’on sache comment il avait fait. On voulait ses astuces », se souvient le jeune homme. A l’époque, Kenneth Fabo, plus modeste, ambitionnait, lui, de lever 15 millions de francs CFA… Avant de s’inscrire à la plate-forme.

Objectif : former 10 000 entrepreneurs

Aujourd’hui, il a pris la mesure de l’intérêt de son projet et est devenu plus ambitieux. « Kiro’o Rebunto nous a donné des conseils pour trouver des financements. Sans même avoir officiellement lancé la levée de fonds, nous avons quarante investisseurs prêts à nous financer. Nous nous lançons ce premier trimestre et nous avons changé nos objectifs, passant de 15 à 60 millions de francs CFA », précise Kenneth Fabo.

Pour permettre à un maximum de jeunes entrepreneurs de bénéficier de la plate-forme, Kiro’o Rebuntu a signé un partenariat avec le ministère des postes et télécommunications du Cameroun, qui subventionne l’inscription des porteurs de projets dans les domaines des technologies de l’information et de la communication. Pour cela, il leur suffit de se rendre sur le site et de cliquer sur « parrainage du Minpostel » au moment de l’inscription. Ce qu’a fait Narrel, satisfait de ce pas franchi. « Petit à petit, j’apprends des choses », sourit-il doucement.

Plus d’un an après son lancement, un millier de personnes sont inscrites sur la plate-forme d’Olivier Madiba et quatre d’entre elles en sont à la phase de levée de fonds. « Dès la première page sur la plate-forme, c’est vraiment du concret, du langage familier. Ce ne sont pas des mots compliqués, souligne Kenneth Fabo. Tout est simple. Pour parler d’investissement, Olivier prend l’exemple d’un boutiquier de quartier. Ce qu’on vit tous les jours. »

Face à cet engouement, Olivier Madiba, dont l’objectif est de former 10 000 entrepreneurs en Afrique, veut faire évoluer Kiro’o Rebuntu en une plate-forme « d’equity crowdfunding, une sorte de bourse de l’informel ». « En nous unissant, nous allons créer le chaînon manquant de l’économie africaine. Dites-vous que vous voyez les prémices de la finance renouvelable que l’Afrique va enseigner au monde dans les prochaines décennies », prévient-il, sûr qu’il a trouvé la bonne voie.

*Le prénom a été changé à sa demande.