Emmanuel Macron à Bourg-de-Péage, le 24 janvier 2019. / EMMANUEL FOUDROT / AFP

Prévu pour une période de deux mois, le grand débat national voulu par le président de la République comme une réponse au mouvement des « gilets jaunes » mobilise les citoyens dans plusieurs villes de France. Mais, près de deux semaines après son lancement officiel, les polémiques qui ont accompagné sa mise en route le poursuivent et les doutes persistent quant aux modalités qui permettront de faire la synthèse de ses résultats et de les traduire concrètement.

  • Quatre grands thèmes et des « oublis »

Après l’annonce d’un train de mesures sur le pouvoir d’achat chiffré à dix milliards d’euros, le grand débat national est conçu par l’exécutif comme le deuxième volet de sa réponse à la crise des « gilets jaunes ». Dans la « lettre aux Français » d’Emmanuel Macron, rendue publique le 13 janvier, le chef de l’Etat décline ainsi quatre grands thèmes non exclusifs assortis de séries de questions censées orienter la consultation nationale :

  • La fiscalité et les dépenses publiques avec la perspective de baisses d’impôts.
  • L’organisation de l’Etat et des services publics avec des questions sur l’organisation de l’administration et la décentralisation.
  • La transition écologique, la question de son financement et des mesures d’accompagnement à mettre en œuvre par les pouvoirs publics.
  • La démocratie et la citoyenneté, une thématique qui mêle des questions liées à la réforme des institutions à des questions sur l’immigration – un thème déjà à l’origine de couacs pour l’exécutif. Le thème du référendum d’initiative citoyenne (RIC) est retenu dans cette catégorie, de même que la réflexion sur l’avenir du Sénat, au grand dam des élus de la Chambre haute.

Si les questions de fiscalité prennent une place importante, tout retour de l’ISF est exclu, alors même qu’il s’agit d’une revendication centrale des « gilets jaunes ». Les baisses de cotisations pour les salariés et la hausse de la CSG sont également écartées du débat. Les « fiches pédagogiques » bientôt publiées par le gouvernement pour être versées au débat sont, par ailleurs, perçues comme propres à justifier en priorité les choix budgétaires de l’exécutif.

  • Des débuts laborieux

Alors que les premiers débats locaux ont commencé, mardi 15 janvier, l’exécutif a été condamné à l’improvisation. Une première polémique a ainsi entaché les préparatifs de la consultation avant même qu’elle ne démarre officiellement. Chantal Jouanno, qui en tant que présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP) devait garantir l’indépendance et la transparence des échanges, jette l’éponge après avoir été mise en cause à propos de son salaire, 14 666 euros par mois.

Après que les ministres Sébastien Lecornu (collectivités territoriales) et à la secrétaire d’Etat Emmanuelle Wargon (transition écologique) ont été chargés d’animer le débat, les critiques à leur endroit ne tardent pas. Ils sont accusés d’assurer la mainmise de l’exécutif sur la consultation.

Pour remplacer Chantal Jouanno, il est décidé que cinq « garants » devront assurer l’indépendance du débat. Jean-Paul Bailly, Pascal Perrineau, Nadia Bellaoui, Guy Canivet et Isabelle Falque-Pierrotin sont désignés le 17 janvier par le gouvernement et les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Malgré ces précautions, de nombreux « gilets jaunes » nient la légitimité de cette initiative, convaincus que le vrai débat est « dans la rue ». Le 21 janvier, le site du grand débat national reçoit ses premières contributions en lignes, mais les modalités de son fonctionnement restent floues jusqu’au dernier moment.

  • Le président en première ligne

Quand Emmanuel Macron ouvre le bal, le 15 janvier, à Grand-Bourgtheroulde dans l’Eure, c’est devant une audience exclusivement composée de maires et de parlementaires normands qu’il va s’exprimer sept heures durant, laissant les « gilets jaunes » du département à la porte. Certains de leurs représentants s’entretiendront, cependant, avec la secrétaire d’Etat, Emmanuelle Wargon, en charge de l’animation du grand débat.

Les rencontres avec les maires se poursuivent le 18 janvier à Souillac, dans le Lot, où le chef de l’Etat s’entretient avec 600 maires d’Occitanie. Si les élus locaux sont perçus par l’exécutif comme des relais importants, nombre d’entre eux émettent des réserves. A Souillac, on appelle le chef de l’Etat à éviter que le grand débat ne se transforme en « grand bluff » ou en « discours de drague ».

De manière générale, alors que l’exécutif désire mettre en scène une consultation au contact des territoires et de la société civile, les corps intermédiaires, partenaires sociaux traditionnels et élus s’estiment privés de contacts avec un chef de l’Etat jugé isolé alors même qu’il entend se montrer en première ligne, et ce, au risque d’irriter à nouveau par des déclarations polémiques.

Lors de sa rencontre avec les élus normands du 15 janvier, le discours d’Emmanuel Macron est, en effet, émaillé d’une nouvelle sortie propre à alimenter les accusations d’arrogance en évoquant les « gens en difficultés (…) qui déconnent ». Malgré tout, son opération de reconquête se poursuit au moment de son passage dans le Lot et de sa visite surprise dans la commune de Saint-Sozy, son premier contact direct – quoique sous haute surveillance – avec des citoyens depuis le 4 décembre et le désastreux épisode du Puy-en-Velay.

Jeudi 24 janvier, c’est dans la Drôme que le président de la République apparaît. Cette fois-ci plus de rencontre marathon avec des centaines de maires. Après un entretien avec Laurent Wauquiez et des échanges resserrés avec des élus, Emmanuel Macron s’invite à un débat local dont les participants n’avaient pas été avertis de sa présence.

Pour ne pas que « l’élan se perde », le chef de l’Etat devrait multiplier les rencontres de cette nature en région d’ici la fin du débat en mars, tandis que l’émission spéciale de Cyril Hanouna sur C8, vendredi 25 janvier, coanimée par la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa, est conçue par le gouvernement comme un instrument permettant de parler aux plus jeunes et aux classes populaires.

  • Des débats partout en France

Depuis le lancement de la consultation, des journalistes du Monde ont rendu compte de débats locaux à Grigny, près de Lyon, à Ecouen, dans le Val-d’Oise, à Arras dans le Pas-de-Calais, à Caudry dans le Nord.

Leurs reportages racontent les revendications des participants, leurs doutes sur la pertinence des questions proposées par l’exécutif et, surtout, leurs interrogations sur la suite qui sera donnée par le gouvernement à cette consultation.

La défiance de certains « gilets jaunes », peu représentés dans ces débats, s’est par ailleurs illustrée par la création d’une plate-forme séparée pour répondre au lancement le 21 janvier de celle du gouvernement.

  • Les quartiers populaires à l’écart

Alors que la consultation va entrer dans sa troisième semaine, un constat s’impose : les banlieues, à peine mentionnées dans la « lettre aux Français » d’Emmanuel Macron, sont, pour l’instant, restées en retrait du débat.

A la veille du lancement de la consultation, les associations des quartiers populaires avaient publié un appel rappelant les problématiques propres à ces territoires, dont elles demandent la prise en compte par le grand débat national. Mais le grand débat n’y prend pas, malgré les tentatives de mobilisation d’acteurs associatifs et d’élus.

  • Et maintenant ?

Les cinq « garants » désignés dans l’urgence après la polémique autour de la rémunération de Mme Jouanno attendent encore des réponses sur les moyens qui leur seront alloués pour traiter, synthétiser et analyser toutes les contributions apportées au grand débat national, une tâche qui s’annonce titanesque. De son côté, la majorité réfléchit aux implications de la remise en cause par le mouvement des « gilets jaunes » de la démocratie représentative.

Au-delà de la question de ses traductions concrètes, le grand débat continue à susciter la polémique, sur son principe comme sur son organisation. Vendredi 25 janvier, Chantal Jouanno, toujours à la tête de la Commission nationale du débat public, a vivement critiqué le grand débat en dénonçant une « opération de communication ».

« Le principe d’un débat public, ce n’est pas de poser des questions aux Français, ce sont les Français qui vous posent des questions, eux qui s’expriment, eux qui disent ce qui leur tient à cœur », a-t-elle souligné. Le grand débat actuellement mené par le gouvernement n’est, selon l’ancienne ministre, qu’une « consultation », avec des questions « forcément orientées ».