Des forces de l’ordre déployées, le 15 décembre, sur les Champs-Elysées, à Paris, lors d’un rassemblement des « gilets jaunes ». / VALERY HACHE / AFP

Editorial du « Monde ». Les images, choquantes, tournent en boucle sur les réseaux sociaux depuis des semaines, au fil des manifestations des « gilets jaunes » : des blessures graves, notamment des visages très abîmés, fracturés et parfois éborgnés par les lanceurs de balles de défense (LBD) utilisés par les forces de l’ordre. Ces armes, dites « intermédiaires », tirent des balles de 40 millimètres de diamètre en caoutchouc semi-rigide, qui peuvent faire de gros dégâts, notamment sur les visages.

Au-delà des images, les chiffres témoignent de la violence des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre depuis deux mois : l’on compte un millier de blessés chez les policiers et les gendarmes et quelque 1 700 parmi les manifestants, dont quelques dizaines de blessés graves (80 à 90, selon plusieurs sites spécialisés), du fait des LBD notamment.

Il ne fait aucun doute que policiers et gendarmes ont dû faire face à des situations très difficiles et parfois critiques : non seulement des manifestations imprévisibles, non déclarées, non autorisées et non encadrées par un service d’ordre, mais aussi des petits groupes d’émeutiers aguerris, déterminés à en découdre, voire à tenter d’appliquer leur sinistre devise selon laquelle « un bon flic est un flic mort », ou pour le moins lynché.

Ce n’est pourtant pas une raison suffisante pour s’en tenir aux déclarations laconiques répétées par les deux « premiers flics de France », le ministre de l’intérieur et le secrétaire d’Etat à la sécurité, Christophe Castaner et Laurent Nunes. « L’usage des armes a été proportionné », ont-ils répété en boucle.

Demande de moratoire

L’emploi des lanceurs de balles de défense soulève, en effet, de sérieux problèmes. Sans même parler des alertes lancées depuis des années par des associations de défense des libertés publiques, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, avait rendu, il y a un an, un rapport qui recommandait l’interdiction de ces armes dans le cadre du maintien de l’ordre, en raison de leur « dangerosité » et des « risques disproportionnés » qu’elles font courir. Alors que l’usage des LBD est strictement réglementé et interdit, en principe, de viser la tête d’un manifestant, le Défenseur des droits soulignait que cette arme « ne permet ni d’apprécier la distance de tir, ni de prévenir les dommages collatéraux », ni de s’assurer que le « point visé » sera le « point touché ». Jacques Toubon vient d’ailleurs de réitérer sa demande d’un moratoire sur son emploi.

Il est à noter que, dans le cadre de ce rapport, le préfet de police de Paris s’était engagé à ne plus utiliser les LBD. Face à la violence des manifestations récentes, cet engagement a été oublié. Au contraire, le ministère de l’intérieur a ouvert, en décembre 2018, un appel d’offres pour une commande de nouveaux lanceurs.

Christophe Castaner a annoncé que les policiers utilisant des LBD seraient désormais équipés de caméras-piétons, destinées à prouver le bon usage de ces armes. Sans préjuger de l’efficacité, très incertaine, de cette mesure, c’est un premier pas, qui démontre que la polémique n’est pas sans consistance. Si le ministre de l’intérieur est fondé à défendre le travail effectué par les forces de l’ordre, ce n’est pas son rôle de couvrir à tout prix l’usage abusif et irrégulier de ces armes. A tout le moins, plutôt que l’opacité ou les dénégations actuelles, il devrait accepter une enquête transparente et circonstanciée sur le nombre des blessés graves du fait de ces lanceurs de balles de défense.