Carole Benzaken n’abuse pas des expositions. Celle-ci étant sa première à Paris depuis six ans, la galerie Nathalie Obadia lui a confié ses deux espaces pour présenter, d’une part, une rétrospective de cette période, de l’autre les huit toiles de la série Greffes. Le végétal en motif, mais le végétal tel qu’on le voit le plus souvent, de la fenêtre d’un train ou d’une voiture, brouillé par la vitesse. Il est là, avec ses verts, ses ocres et des nuances pourpres, mais à distance. Des bandes verticales étroitescoupent le rectangle du panorama, leurs couleurs rompant avec celles du paysage – de ce qu’il reste d’un paysage. A la séduction chromatique initiale succède une impression de séparation : la nature, mais de l’autre côté d’une vitre incassable.

Cette tension se retrouve plus nettement dans les œuvres réunies dans l’autre galerie. Dans la suite Au réveil, il était midi, on aperçoit des bribes d’arbres, des éclats de ciel, des indices de chevaux et de collines, mais l’image semble avoir été délavée, froissée, crevée par endroits, puis retendue sur un châssis dont les lignes noires bordent et divisent cruellement la surface.

Tout se fendille

Benzaken obtient ces effets en associant acrylique, encre et huile, de densité et de matité différentes, ce qui déstabilise la perception des formes et de l’espace. On dirait que tout se fendille et se brise. Sur papier, elle fait apparaître les Portées d’ombres, ombres de branches sur le sol, mais, de nouveau, divisées en bandes de largeur variable : les lignes ne sont pas continues et on ne sait plus si ce sont des fantômes d’arbres, des fumées étirées par le vent ou des corps dans la pénombre que l’on regarde.

Des paysages derrière la vitre à des œuvres sous verre, le passage est logique pour une artiste qui dessine depuis longtemps sur des films transparents. Dans la série Germe rouge, elle travaille sur des calques, ensuite enfermés entre deux verres. Les harmonies de rouge et de vert seraient voluptueuses comme les derniers Monet si elles n’étaient ainsi prises dans la glace. Attirance et frustration, désir et perte s’affrontent, ce qui est une manière très juste de caractériser les rapports actuels entre nature et art – et peut-être même entre nature et homme.

« Là-bas… » « …toi », Galerie Nathalie Obadia, 18, rue du Bourg-Tibourg et 3, rue du Cloître-Saint-Merri, Paris 4e. Du mardi au samedi de 11 heures à 19 heures. Jusqu’au 23 février.