Rafael Nadal a ajusté son service cet hiver pour en faire un geste à l’économie : la flexion est réduite, le corps plus droit au moment de la frappe. / PETER PARKS / AFP

Le soleil cogne, les chemisettes et panamas sont de sortie, les Français déjà tous au vestiaire, il flotte comme un air de Roland-Garros à Melbourne. Depuis le début de la quinzaine, un joueur découpe un par un ses adversaires sur une Rod Laver Arena domptée à la manière du court Philippe-Chatrier. Pour la première fois de sa carrière, Rafael Nadal n’a pas lâché un seul set en chemin pour se hisser, dimanche 27 janvier, en finale de l’Open d’Australie, la 25e pour lui dans un tournoi du Grand Chelem.

Le Majorquin n’a passé que deux heures en moyenne sur le court à chaque match et perdu 48 jeux en six rencontres. Des statistiques pour ainsi dire « terrestres ». Même à Paris, sur terre battue, il n’y a qu’en 2008 et 2017, sur ses onze finales, qu’il a fait mieux.

En quart de finale, jeudi, l’Espagnol a sans doute livré face à Stefanos Tsitsipas son match le plus abouti sur dur tant il semblait en état de grâce. Au service, à la volée, en défense bien sûr, et surtout, en coup droit.

L’un de ces banana shots – une frappe long de ligne à la trajectoire incurvée, une de ses spécialités –, passé à côté du filet, doit encore hanter son adversaire. Ajoutez à cela une exceptionnelle longueur de balle et la copie frôlait le 20/20.

Révélation de la quinzaine, le jeune Athénien a été renvoyé à ses chères études, balayé 6-2, 6-4, 6-0. Comme ses camarades de la « Next Gen » Alex De Minaur (6-1, 6-2, 6-4) et Frances Tiafoe (6-3, 6-4, 6-2) avant lui.

« J’avais l’impression d’une autre dimension du tennis. Il ne vous donne aucun rythme. Il a un style de jeu différent des autres joueurs. Il a, je ne sais pas, ce talent qu’aucun autre n’a. Je n’ai jamais vu un joueur avoir ça. Il vous fait mal jouer », dira le Grec, groggy.

Tsitsipas n’a pourtant pas produit du mauvais tennis. Il a lâché l’affaire dans la troisième manche mais pendant deux sets, il avait tenté d’être hardi, comme face à Roger Federer, qu’il avait battu en huitièmes de finale. Cette fois, il s’est heurté à un mur.

Maudit sur la Rod Laver Arena

Au regard de la carrière de l’Espagnol, Melbourne a toujours été, parmi les quatre Grands Chelems, celui qui lui demande le plus d’efforts. Parce qu’il vient (trop) tôt dans la saison. Parce que la surface, surtout, met son corps au supplice.

Sur cette Rod Laver Arena, il l’a déjà lâché à quatre reprises : il a été contraint d’abandonner en 2010 (genou) et 2018 (cuisse). En 2014 (finale face à Stan Wawrinka), son dos endolori, et en 2011 (quart de finale contre David Ferrer), ses adducteurs, l’avaient empêché de défendre ses chances.

Cette année, Nadal a mis le pied à Melbourne Park sans le moindre repère. Vainqueur de son onzième Roland-Garros en juin, le numéro deux mondial avait vu sa saison 2018 se terminer prématurément en demi-finale de l’US Open. Trahi par son genou droit, encore lui… Et quand c’en était fini avec le genou, c’étaient les abdominaux (Bercy) puis la cheville droite, qu’il fit opérer, lui faisant rater le Masters de Londres.

A Abou Dhabi, pour sa reprise fin décembre, il traînait encore la patte. Et à douze jours de l’Open d’Australie, ses médecins jugèrent plus prudent qu’il déclare forfait pour le tournoi de Brisbane, après une légère blessure à… la cuisse gauche.

A 32 ans, malgré ce corps qui demande grâce, sa passion pour le jeu, elle, est intacte. Les « vamos » n’ont jamais cessé et le regard est toujours aussi hargneux. Un temps délaissé, le débardeur est de retour comme aux premiers jours et le bandana encore là, même si avec les années, les cheveux dépassent de moins en moins.

Cette semaine, devant les journalistes, il a justifié les raisons qui le poussent à différer l’heure de la retraite : « La motivation extrême ainsi qu’une vraie excitation à repartir. » « Ce que je ne veux pas, c’est souffrir comme l’année dernière », insistait-il en préambule de la saison.

Pour s’acheter du temps et un énième sursis, l’Espagnol se remet encore et toujours en question. Le service – qui n’a jamais été une arme fatale chez lui – a été ajusté cet hiver pour en faire un geste à l’économie : la flexion est réduite, le corps plus droit au moment de la frappe.

« Non, on ne peut pas dire que je joue mieux que jamais, tempérait-il après son match contre Tsitsipas, parce qu’aujourd’hui, je dois adapter mon jeu au tennis actuel et à mon âge. Après dix-sept ans passés sur le circuit professionnel, je savais que je perdrais quelques trucs au fil du temps, donc à moi d’en ajouter d’autres. »

« Les gens pensent à tort que je ne suis pas agressif »

Comme tous les observateurs l’ont noté depuis qu’il a débarqué à Melbourne, l’Espagnol écourte davantage les échanges. Lui qui n’aimait rien tant que malmener l’adversaire jusqu’à l’étouffement, raccourcit encore un peu plus les schémas de jeu.

Devant ceux qui s’étonnent de le voir pratiquer un jeu aussi agressif, il lève les yeux au ciel : « Ça n’a rien de nouveau que je sois agressif ! Le problème avec moi c’est que, parce que j’ai beaucoup gagné sur terre, les gens pensent que je ne suis pas agressif. Ceux qui pensent ça se trompent complètement. Bien sûr, je ne fais pas service-volée, je ne joue pas un coup gagnant à chaque frappe, mais je joue tous les coups avec un objectif : faire mal à l’adversaire. »

Ses six dernières victimes peuvent en témoigner, il n’a en cela pas changé, plus que jamais prêt à mourir sur le court, frappant chaque coup comme si c’était le dernier.

Rafael Nadal et Novak Djokovic, exténués, le 30 janvier 2012, à l’issue de la finale de l’Open d’Australie remportée par le Serbe après 5h53, la plus longue finale de l’histoire des Grands Chelems. / GREG WOOD / AFP

Parce qu’il n’a plus gagné en Australie depuis 2009, soulever une deuxième fois le trophée aurait une saveur particulière dix ans après. Reste le défi ultime. Battre Novak Djokovic. Le Serbe est chez lui à Melbourne, déjà six fois vainqueur, et peut laisser à quai Roy Emerson et Roger Federer pour devenir seul recordman des titres dans le premier Majeur du calendrier en cas de victoire. Il mène 18-7 dans leurs confrontations sur dur, et a remporté les 7 dernières. Cela fait six ans que Nadal ne l’a plus battu sur cette surface.

Le Serbe a moins impressionné que l’Espagnol jusqu’à sa demi-finale, où il a surclassé Lucas Pouille. « Probablement l’un des plus beaux matchs que j’ai joués, dira le numéro un mondial. Tous les athlètes veulent un jour se retrouver dans cette zone où tout se déroule sans effort, où l’exécution est quasi automatique. C’est comme une force qui vous envahit et vous vous sentez divin. »

En 2012, les deux rivaux avaient livré sur la Rod Laver Arena une finale grandiose, la plus longue jamais disputée en Grand Chelem. Un duel titanesque de 5 h 53 remporté par le Serbe 5-7, 6-4, 6-2, 6-7, 7-5. Exténués, les deux finalistes étaient incapables de tenir debout en attendant la remise du trophée et les organisateurs avaient dû leur apporter des chaises en catastrophe. Cette fois, les chaises longues sont paraît-il déjà prévues.