Saisie de tonnes de drogues dans un port de Floride en avril 2018. / JOE RAEDLE/AFP

En mai 2018, les douanes ont opéré une saisie record de 701 kg de cocaïne dans le port d’Oran, la deuxième plus grande ville d’Algérie. Les stupéfiants ont été trouvés à bord du Vega-Mercury dans un conteneur transportant de la viande congelée. La cargaison aurait commencé son voyage au Brésil, aurait fait escale dans les ports espagnols de Las Palmas et de Valence avant d’atteindre Oran. Et les autorités espagnoles auraient informé leurs homologues algériens.

Le porte-conteneurs a été commandé par le plus gros importateur algérien de viande congelée, Dounia Meat, une société détenue par l’homme d’affaires Kamel Chikhi – surnommé « El-Bouchi » (« le boucher ») – et ses frères. M. Chikhi et trois autres membres de la société ont été arrêtés. Le scandale, connu sous le nom de « Cocainegate », a conduit à la destitution de hauts responsables, dont l’ancien directeur général de la sécurité nationale, le major Abdelghani Hamel. Son chauffeur personnel a été cité dans l’enquête.

Transit pour les marchés européens

Que signifie cette saisie pour l’Algérie, un pays qui jusqu’alors n’était pas perçu comme un acteur stratégique du commerce de la cocaïne en Afrique ? D’abord, il semble peu probable que la cocaïne soit destinée à la consommation locale. Bien que la taille du marché national reste inconnue, il est probablement trop étroit pour permettre d’écouler une telle quantité de stupéfiants. Par ailleurs, la cocaïne est très chère en Algérie puisqu’elle se vend entre 145 et 290 euros le gramme. Il est donc bien plus probable que la marchandise ait été en transit en Algérie, prévue pour être livrée sur les marchés européens et au Moyen-Orient.

Ensuite, cela signifie que cette liaison – du Brésil à l’Espagne puis à l’Algérie, et y compris le marché de destination finale – avait sans aucun doute été testée et soigneusement sécurisée au préalable par des petites transactions. Avant d’envoyer des quantités aussi importantes, les cartels de drogue sécurisent généralement les itinéraires et disposent de solides partenaires locaux ainsi que sur les marchés finaux. Ce n’est pas un hasard si Oran a été utilisé comme port de transit. Grand port de commerce et de passagers situé à seulement 200 km de l’Espagne, Oran occupe une position stratégique pour le trafic de drogue. En janvier 2015, les pêcheurs avaient déjà découvert plus de 81 kg de cocaïne près des îles Habibas, à seulement 10 km des rives de la ville.

Les caractéristiques chimiques de la saisie de Habibas sont identiques à celles de plusieurs petites confiscations effectuées par la police ces dernières années. Cela suggère que la cocaïne qui transitait par l’Algérie pourrait être liée à un fournisseur exclusif. Avant l’opération d’Oran, la plus récente saisie de cocaïne en Algérie avait eu lieu en 2015, lorsque 156 kg avaient été découverts au port de Baraki. Les stupéfiants étaient dissimulés dans un conteneur alimentaire transportant du lait en poudre importé de Nouvelle-Zélande et transitant par l’Espagne vers l’Algérie.

Il est significatif que les deux saisies aient eu lieu dans des zones portuaires, dans des conteneurs qui avaient pour destination les rives algériennes. L’Algérie s’est fait une place dans l’économie mondiale depuis le milieu des années 2000, avec une montée en flèche de ses importations, passées de 15,25 milliards de dollars en 2005 à 48,6 milliards en 2016, soit une croissance de 318 %.

Ce boom est dû à une politique d’importation massive soutenue par des rentrées en devises dues aux ventes de pétrole dans les années 2000. La grosse saisie de cocaïne d’Oran en Algérie fait écho à une prise similaire au Maroc, où 2,4 tonnes de cocaïne avaient été confisquées près de Rabat en octobre 2017. En février 2018, les autorités marocaines avaient également confisqué 541 kg de cocaïne dans un cargo provenant du Brésil et dirigé vers Casablanca.

Nouvelle tendance africaine

Le trafic de cocaïne au Maghreb est à son plus haut niveau depuis 2016, ce qui laisse penser que de nouvelles routes sont en train d’émerger. Selon le « Rapport sur les drogues dans le monde » (2018), publié par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la quantité de cocaïne saisie en Afrique du Nord a été multipliée par six en 2016, ce qui représente 69 % des saisies en Afrique. Traditionnellement, les stupéfiants d’Amérique du Sud arrivent en Afrique par la côte ouest avant d’être distribués en Europe et au Moyen-Orient. Ces saisies au Maroc et en Algérie suggèrent que la cocaïne transite de plus en plus par la côte nord-ouest.

Cette tendance nouvelle s’appuie sur les routes historiques du cannabis qui naissent au Maroc. Il existe des liens anciens entre les cartels de la drogue sud-américains, les trafiquants de cannabis marocains qui s’appuient sur des réseaux solides du nord-ouest de l’Algérie. Ces ramifications font de l’Afrique du Nord un pôle de transit « prometteur » pour le trafic de cocaïne. La côte entre Casablanca et Alger, qui passe par Oran et Rabat, est un « arc d’or » pour les trafiquants de drogue. Il offre une fenêtre sur trois continents en étant à proximité des marchés de consommation européens.

Dans les années à venir, le trafic de drogue devrait prospérer sur cette zone surnommée la « nouvelle côte de la cocaïne ». Sa proximité avec le marché lucratif de la cocaïne en Europe, mais aussi la difficulté de traverser la région sahélo-saharienne sujette aux conflits en font un axe majeur.

Combattre cette nouvelle tendance appelle une plus grande coopération interrégionale et continentale. Pour réduire ces trafics de cocaïne, des opérations maritimes conjointes doivent être menées. Les forces navales algériennes doivent renforcer la sécurité dans les principaux ports et les autorités douanières renforcer les contrôles sur les importations arrivant par porte-conteneurs.

La politique dite du « corridor vert », qui permet aux importateurs d’accélérer l’entrée des marchandises et des matières premières, devrait être réexaminée afin de mieux s’aligner sur les normes internationales établies par l’Organisation mondiale des douanes. Le débat sur le « Cocainegate » reste fortement politisé et sa dépolitisation aidera également à identifier, à retrouver et à poursuivre les personnes impliquées. Les autorités algériennes doivent analyser cette saisie comme un avertissement que les réseaux criminels utilisent de plus en plus leur pays comme zone de transit de la cocaïne.

Jihane Ben Yahia et Raouf Farrah ont réalisé cette enquête pour le site d’Institute for Security Studies ISS Today et également publiée dans le Daily Maverick.

Traduction Le Monde Afrique.