De gauche à droite : le président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki, le chancelier autrichien Sebastian Kurz, le président rwandais Paul Kagame et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, à Vienne le 18 décembre 2018, lors du Forum Afrique-Europe. / HANS PUNZ / AFP

Chronique. Les observateurs avertis de la technocratie bruxelloise vous le diront tous. La capitale européenne s’est muée ces dernières années en un centre de gravité politique et économique tel, qu’une lutte d’influence constante s’y joue en permanence entre ONG, conglomérats privés, groupes d’intérêts et organisations étatiques.

Pas étonnant donc, dans ce contexte, qu’il soit devenu essentiel pour de nombreux acteurs, européens ou non, de se positionner dans cette ville pour influer sur les différentes étapes du processus décisionnel des institutions communautaires. Que cela plaise ou non, les choix opérés par ces dernières, même quand elles ne concernent que des règles intérieures, ont souvent des répercussions ailleurs, comme en Afrique.

Effets collatéraux

Dans la filière laitière par exemple, la suppression des quotas laitiers par l’Union européenne (UE) en 2015 a entraîné, en dépit des mécanismes de soutien, un surplus de production qui, conjugué avec une baisse de la consommation sur le marché européen, a poussé les producteurs à chercher de nouveaux débouchés.

Le lait européen a donc rapidement inondé le marché ouest-africain sous forme de produit en poudre affiché à des prix bien plus avantageux que ceux proposés par les producteurs locaux. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Entre 1996 et 2013, les importations de lait dans cette région d’Afrique sont passées de 0,6 à 1,9 million de tonnes, ce qui eut pour effet de freiner le développement d’un secteur laitier ouest-africain déjà bien fragile.

Illustrant au passage les effets collatéraux des décisions européennes sur l’économie africaine, l’exemple cité soulève une question : le continent se donne-t-il la peine de défendre ses intérêts auprès des institutions de l’UE ?

Comme l’indique Annie Mutamba, une des rares expertes en communication et en lobbying spécialisées dans les relations entre l’Europe et l’Afrique, « la plupart des décideurs politiques et économiques africains qui veulent établir, conserver ou accroître leurs échanges avec l’Europe, ont la fâcheuse et coûteuse tendance à contourner sa capitale. Dans leur atlas de l’influence, Bruxelles brille par son absence. » Une dynamique qui n’est cependant pas suivie par tous les Etats, à l’instar du Maroc.

L’exception marocaine

Conscient de la nécessité d’investir dans le cœur de la machine institutionnelle, le gouvernement de Rabat s’est attelé à tisser des liens auprès de personnes, d’organisations et de cabinets capables de promouvoir ses intérêts. Il s’est récemment offert les services de l’agence Cambre Associates pour l’aider à défendre ses positions dans sa longue bataille pour élargir les préférences tarifaires de l’UE aux produits issus de la région du Sahara occidental.

Opposé à l’ONG Western Sahara Resource Watch (WSRW) et au Front Polisario qui avaient réussi ne pas faire appliquer l’accord de libre-échange de 2012 entre l’UE et le Maroc au Sahara occidental, avec une décision rendue par la Cour de justice européenne en 2016, le royaume chérifien s’est cette fois-ci évertué à déployer ses moyens de pression auprès des élus européens. Avec succès. Le 16 janvier, le Parlement européen a adopté en séance plénière un texte élargissant les préférences tarifaires aux produits agricoles issus entre autres de la région contestée.

On l’aura bien compris, à l’heure où les élections européennes se profilent à l’horizon et que les négociations des accords post-Cotonou sont encore loin d’aboutir, il est urgent que les acteurs africains se dotent d’une stratégie de lobbying digne de ce nom s’ils veulent faire entendre leur voix auprès des nouveaux politiciens qui prendront les reines de l’UE après mai 2019.

Szymon Jagiello est journaliste et observateur depuis Bruxelles de l’actualité africaine.