Le 3 août 2018, 41 Soudanais, accueillis à Lille à la mi-juillet, recoivent leur statut officiel de réfugié à l’Hôtel de ville. / PHILIPPE HUGUEN/AFP

« Em-plo-yé co-mmer-cial » : syllabe par syllabe, Albaker déchiffre tant bien que mal le titre d’une offre d’emploi. Comme 41 autres Soudanais, réfugiés de l’Aquarius, il s’efforce d’apprendre le français pour être autonome au plus vite, aidé par des bénévoles dans une résidence lilloise.

Stylo à la main, Maissa Ainseba, étudiante en français langue étrangère (FLE), fait répéter les mots autour de la table dans la salle principale de la résidence, une ancienne maison de retraite prêtée par la mairie socialiste.

Agés de 18 à 32 ans, ces hommes seuls sont arrivés à Lille à la mi-juillet, la ville ayant proposé de les accueillir, après que l’Elysée a finalement accepté d’accueillir 78 migrants de l’Aquarius, navire de sauvetage de l’ONG SOS Méditerranée mis à l’arrêt depuis. Tous ont obtenu en quinze jours le statut de réfugié leur permettant de rester dix ans sur le territoire.

Adaptation délicate

« On les aide pour qu’ils puissent se débrouiller seuls lorsqu’ils quitteront le foyer : chercher un travail, un appartement, faire des courses, tout ce qui concerne le quotidien », énumère la jeune femme de 24 ans, bénévole depuis septembre, non loin d’un alphabet illustré accroché au mur.

Car, en juillet, l’accompagnement, prévu pour un an, arrivera à son terme. Outre la langue, il faut assimiler une nouvelle culture et un mode de vie en un temps restreint.

Par groupes et à tour de rôle, les résidents, qui vivent à deux par chambre, assurent la cuisine, la vaisselle, la lessive, le ménage des parties communes. Les journées sont rythmées par les repas en commun, les cours, les rendez-vous avec Pôle Emploi.

« Il faut donner un cadre à la vie occidentale française », explique à l’AFP Martin David-Brochen, directeur « inclusion sociale » de l’association La Sauvegarde du Nord, missionnée par l’Etat, qui finance l’équipe d’accompagnement social, soit quatre éducateurs, deux veilleurs de nuit et une cheffe de service.

Après un périple long et périlleux, l’adaptation reste délicate. Comme pour Hussein Daoud, 25 ans, qui a fui le Darfour et la guerre. Passé par l’Egypte, il a été emprisonné en Libye avant de prendre la mer, « sans rien ».

« On était 130 sur un petit bateau. Bien sûr c’était dangereux, j’étais triste, mais je préférais ça plutôt que rester au Soudan », raconte-t-il en arabe. Il a été surpris par le froid et « les différences culturelles ». « Ici, le rapport au temps est différent, les journées sont beaucoup plus longues qu’en Afrique. »

La transition a été facilitée par les nombreux dons d’entreprises, d’associations et de citoyens. Une dizaine de réfugiés participent régulièrement aux activités de l’association Singa, comme des sorties à vélo et des jeux de société.

Six mois après son arrivée à Lille, un réfugié soudanais continue d’apprendre le français, aidé par un volontaire d’une association, le 30 janvier 2019. / DENIS CHARLET/AFP

« Nous avons reçu le meilleur accueil possible, les gens sont très bienveillants », relève Hussein, « heureux et reconnaissant » d’avoir trouvé en France « la paix, la liberté et la démocratie ». Mais déjà, il faut regarder vers l’avenir.

« Il y a eu l’urgence de l’accueil et de l’hébergement dignes, le statut, les questions de santé (…) Maintenant, on travaille l’insertion professionnelle et la recherche de logement », note M. David-Brochen. Offres d’emploi, plans de métro, planning des rendez-vous avec les autorités sont affichés à l’entrée.

Projets variés

Dès cet automne, deux jeunes ont été embauchés en CDI dans un restaurant comme plongeurs. Pour les autres, le compte à rebours est lancé. Avec une part d’incertitude, plus pressante encore pour les jeunes de moins de 26 ans qui n’ont pas droit au RSA.

Boucher, coiffeur, conducteur : les projets sont variés mais dépendent surtout du niveau de français, inégal selon les études de chacun.

Ishaq, 26 ans, voudrait rester en France et faire venir son épouse et ses enfants, toujours au Soudan. « Je pense beaucoup à eux, ils ne sont pas en sécurité, là-bas, il y a la rébellion », explique-t-il. Il aimerait trouver un emploi dans une entreprise de travaux publics, son secteur de formation.

Moussab Ahmed, lui, a pour objectif de débuter des études de droit. A 25 ans, cet opposant au régime du président Omar Al-Bachir a fui le pays « à cause des menaces et par manque de liberté ».

Aujourd’hui, le jeune homme souriant salue sa « renaissance » et espère devenir avocat. « Une façon d’aider à mon tour car beaucoup de gens en ont besoin. »