C’est le petit matin. Lentement, deux jeunes Pygmées marchent dans une rue embrumée de Bangui. Ils viennent vendre au marché des chenilles de la forêt. Elvis Sabin Nagibino suit les images qui défilent sur son écran, les premiers rushes de son futur film consacré à ces deux jeunes Aka.

A 32 ans, Elvis en est à son troisième film tourné en Centrafrique. Le premier a été réalisé « avec les moyens du bord » après ses études de géologie. Au chômage, il s’est lancé, porté par le rêve de devenir cinéaste. « Depuis longtemps j’avais envie de faire des films. Mon premier souvenir de cinéma, c’est Le Silence de la forêt, de Didier Ouenangaré. On le regardait à la télévision, en noir et blanc. On pensait qu’il y en aurait d’autres, mais cela n’a pas suivi. » Mort en 2006, le réalisateur a laissé son pays orphelin de création cinématographique pendant plus de dix ans.

« Gisement non exploité »

Mais, depuis 2017, ils sont une dizaine, comme Elvis, à avoir bénéficié d’une solide formation. Dix premiers films ont été réalisés et sélectionnés dans différents festivals internationaux. « Rafiki Fariala a été récemment à Biarritz pour le Fipadoc, pour présenter son film, Mbi na Mo », explique Olivier Colin, le directeur de l’Alliance française. Avant son arrivée à Bangui en octobre 2016, l’homme avait imaginé avec les Ateliers Varan et le réalisateur français Boris Lojkine, une série de stages destinés à de jeunes Centrafricains. Après sélection des candidats, une première résidence a eu lieu en 2017, intense et fructueuse.

« Nous avons eu sept semaines de formation, précise Elvis. On allait sur le terrain, on ramenait les rushes, et on les sélectionnait. Avant je ne savais pas vraiment me servir de la caméra, je m’occupais juste de l’écriture. Ça m’a permis de passer de l’autre côté. » Raconter le pays dans des documentaires ou de petites fictions, pour Christian Ousseine, un autre réalisateur, « cela crée une forme d’identification pour le public, et ça participe à la cohésion nationale ». Lui a réalisé son premier film sur les enfants des rues. Depuis, d’autres formations ont eu lieu, plus techniques, destinées à faire de ces réalisateurs de vrais professionnels de l’image et du son.

Treize autres films sont en tournage. Les réalisateurs, qui se réunissent régulièrement, s’entraident sur leurs projets respectifs. En parallèle, ils travaillent avec des institutions ou des ONG. Pour eux, l’objectif est de créer une société coopérative. « Notre ambition est d’être autonomes, souligne Elvis, on ne peut pas toujours dépendre d’une structure comme l’Alliance française. Personnellement, ajoute-t-il, mon rêve serait de mettre en place une structure de formation dédiée au cinéma. » Il en est convaincu, le cinéma africain est un secteur d’avenir, qui peut créer de l’emploi. « Un gisement non exploité », s’amuse l’ancien étudiant géologue.

La salle encore en travaux du nouveau cinéma de Bangui qui sera inauguré le 2 février 2019. / GAËL GRILHOT

Non loin du local, des ouvriers s’activent dans la cour de l’Alliance française. Derniers coups de pinceau, derniers réglages : la nouvelle salle de cinéma de Bangui sera inaugurée samedi 2 et dimanche 3 février. Là encore, c’est Olivier Colin qui a trouvé environ 100 000 euros de financements pour rénover ce bâtiment et en faire une salle moderne, pluridisciplinaire, « avec des caissons anti-réverbération pour une meilleure propagation du son. (…) Les cinémas qui existaient il y a des décennies fonctionnaient bien, insiste-t-il. Les Centrafricains aiment le cinéma. Je fais le pari que la culture et le cinéma sont les meilleures armes pour le vivre-ensemble. »

Salles transformées en églises

Un credo largement partagé par le directeur de la Cinématographie centrafricaine, Prince Koyagbele, qui veut faire du cinéma un outil pour améliorer l’image de son pays. Depuis la mort de son illustre prédécesseur, Didier Ouenangaré, le premier à avoir occupé ce poste de directeur, il y a eu peu d’évolution, reconnaît-il, mais « le ministère de la communication a des ambitions ». Avant la crise, il y avait cinq salles à Bangui et d’autres en province, mais elles ont progressivement fermé, pour la plupart « transformées en églises ». « Je suis en train de mener des démarches avec une salle privée appartenant à une famille. Elle contient encore tous les éléments pour diffuser des films. »

En parallèle, il travaille avec d’autres partenaires, comme le Cinéma numérique ambulant (CNA), qui a déjà permis de diffuser les dix premiers films produits par les jeunes réalisateurs à travers tout le pays, non sans difficultés, liées au climat sécuritaire incertain et à quelques problèmes techniques surmontés. Bien que manquant cruellement de financements, Prince Koyagbele est persuadé qu’avec les partenariats privés et institutionnels, cette dynamique va participer à la reconstruction du pays.

Christian Ousseine, jeune réalisateur centrafricain, importe les images de son nouveau film documentaire sur un ban de montage numérique, à Bangui, le 29 janvier 2019. / GAËL GRILHOT

Le réalisateur Boris Lojkine, lui, est revenu en 2018 pour un projet plus personnel, consacré aux derniers moments à Bangui de la jeune photoreporter française Camille Lepage, tuée lors d’un reportage en 2014. Un tournage intégrant de nombreux acteurs locaux, mais aussi le recrutement d’assistants techniques choisis parmi les réalisateurs formés. Mais, pour Prince Koyagbele, qui souhaite à terme monter un Festival international du film centrafricain, « personne ne peut parler mieux de la Centrafrique qu’un Centrafricain. Nous voulons produire des films pour montrer la valeur intrinsèque de la RCA, ses paysages magnifiques, ses visages, montrer sa cohésion. »