Alors qu’un rapport de la Cour des comptes soulignait, en novembre 2018, que la loi sur le mécénat profitait surtout aux plus grandes entreprises, les collectivités territoriales s’organisent pour séduire les mécènes locaux, de taille souvent plus modeste. En 2016, 24 entreprises ont représenté 44 % de la dépense fiscale due à la loi mécénat, un chiffre qui montre à lui seul le problème de concentration dont souffre le secteur. Comment inciter les plus petites entreprises à donner et comment orienter leurs dons vers des projets mieux répartis sur le territoire ? Des initiatives récentes, du côté des mécènes comme des porteurs de projets, ont tenté de répondre à cette question.

Côté mécènes, les députés ont adopté, le 16 novembre 2018, dans le projet de loi de finance 2019, la possibilité pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 2 millions d’euros d’investir 10 000 euros au lieu des 0,5 % de leur chiffre d’affaires prévus par la loi mécénat. Ce plafond de 0,5 %, qui peut représenter un montant important pour une grande entreprise, limite en effet l’ampleur des dons pour les plus petites. De fait, les entreprises très petites, petites, de taille intermédiaire ou moyennes représentent 98 % des donneuses mais seulement 44 % du montant total des dons déclarés en 2016, tous domaines confondus.

Un autre problème demeure pour les petites entreprises : leurs dons sont souvent dispersés. Leurs dirigeants, qui veulent agir dans leur territoire d’implantation, ne savent pas toujours quel projet soutenir. Le club mécénat des entreprises de taille intermédiaire, créé en 2018, a ainsi pour ambition d’orienter les chefs d’entreprise dans leur choix.

Pôles régionaux

Mais la bonne volonté des donneurs n’est pas suffisante : les potentiels récipiendaires des dons doivent eux aussi se structurer. Or cette organisation n’est pas toujours facile car elle touche différents niveaux administratifs, entre l’Etat et les collectivités locales. Certaines Directions régionales des affaires culturelles (DRAC) sont très actives dans le secteur du mécénat, en particulier celles de Nouvelle Aquitaine, d’Occitanie et des Pays de la Loire.

Elles agissent le plus souvent par l’intermédiaire de pôles régionaux de mécénat, qui prennent la forme de fonds de dotation ou de protocoles joints avec des associations fédérant les chambres de commerce et d’autres acteurs de l’économie locale, pour le compte desquels elles sélectionnent des projets culturels sur leurs bassins géographiques.

Cependant, comme le constatait la mission d’information de la commission culture du Sénat en juillet 2018, les services déconcentrés du ministère ne sont pas toujours aux commandes du mécénat territorial. Les correspondants mécénats des DRAC font en effet parfois face à des manques de moyens ou de personnel. Les DRAC les moins bien loties se contentent donc d’un rôle plus technique, notamment concernant les autorisations de travaux et les études préliminaires. La gestion est traitée par les collectivités : certains départements s’organisent donc par eux-mêmes.

« Un entraînement local »

La culture n’est cependant qu’une compétence facultative des départements et elle requiert des investissements importants. Une volonté politique pour mettre en œuvre le mécenat se révèle essentielle. Le département de l’Essonne fait figure de pionnier en la matière.

François Durovray, président depuis 2015 du Conseil général de l’Essonne, a eu un véritable « coup de cœur » en visitant le domaine de Méréville, dont le département était propriétaire depuis vingt ans mais qui, faute de moyens, le laissait à l’abandon. Après avoir alerté la DRAC, et devant le manque de ressources tant de l’Etat que du département, il a dû « bousculer » son administration pour fonder, en juin 2017, Essonne Mécénat, et recueillir les fonds nécessaires à la restauration. Une expérience qui lui a montré que « le mécénat doit partir du terrain. Il génère un entraînement local et une vraie fierté pour les habitants », précise-t-il.

Abritée par la Fondation de France, Essonne Mécénat a permis de concentrer les efforts de mécénat du département sur quelques projets phares, en les rendant visibles auprès des entreprises et des particuliers, via des opérations de « crowdfunding » (financement participatif). La Fondation de France ainsi que le parrainage de Stéphane Bern et de Catherine Deneuve ont contribué à la visibilité d’Essonne Mécénat, qui s’est, en l’espace d’un an, imposé comme l’interlocuteur privilégié des mécènes du département.

Rééquilibrage entre régions

Les actions des collectivités locales, en particulier des départements, se font cependant sans la vision d’ensemble que peut avoir le ministère. D’autant que c’est souvent l’initiative personnelle qui l’emporte : les succès de l’Essonne et des DRAC Nouvelle Aquitaine, Occitanie et Pays de la Loire sont le fait de quelques acteurs dotés des moyens nécessaires au déploiement de leur motivation et qui trouvent un écho favorable dans leur tissu économique local. Le rééquilibrage et l’uniformisation entre régions est donc une réelle question.

Le ministère y travaille, comme l’assurent Ludovic Guillot, conseiller au cabinet du ministre de la culture, et Robert Fohr, chef de la mission mécénat au ministère : la mission mécénat est fréquemment sollicitée par les DRAC au sujet des modalités des campagnes de levée de fonds et sur des questions de fiscalité. Elle joue également un rôle de formation important, à travers des Rencontres du mécénat culturel (en décembre 2018 au Grand Palais) ou des journées de travail sur ce thème.

Enfin, le ministère tente de se rapprocher du monde de l’entreprise en organisant des rencontres avec le Medef, le Centre des jeunes dirigeants, le Réseau Entreprendre ou le club mécénat des Entreprises de taille intermédiaire (ETI). Le plan « Culture près de chez vous », lancé en mars 2018, vise aussi à soutenir ce rapprochement entre les structures pourvoyeuses de fonds et les porteurs de projets.

Xavier Bourgine