Juan Guaido avec des étudiants lors d’une manifestation contre Nicolas Maduro, à Caracas, le 30 janvier. / LUIS ROBAYO / AFP

Au Venezuela, deux hommes prétendent être le chef de l’Etat légitime. Juan Guaido, 35 ans, président de l’Assemblée nationale se dit « président en exercice », en s’appuyant sur la constitution du pays qui prévoit que le président de l’organe législatif assume la fonction suprême en cas de défaillance du chef de l’Etat. Devenu la figure de proue de l’opposition, il veut chasser du pouvoir Nicolas Maduro, l’héritier d’Hugo Chavez, réélu en 2018 au terme d’une élection jugée illégitime.

Paula Vasquez, chargée de recherche au CNRS, spécialiste du Venezuela et auteure de Le chavisme : un militarisme compassionnel (Maison des sciences de l’homme, 2014) estime que l’opposition n’est plus dans une logique de lutte existentielle avec le camp chaviste comme elle a pu l’être par le passé mais qu’elle tente de poser les conditions d’une négociation avec le pouvoir. Sa volonté de faire advenir une transition pacifique se trouve toutefois menacée par un contexte où l’idée de solution militaire doublée d’une intervention extérieure séduit certains, alors que le pays, qui a perdu un dixième de sa population, réfugiée à l’étranger, connaît une terrible crise économique, sociale et humanitaire.

Quelles sont les composantes de l’opposition vénézuélienne dont le président de l’Assemblée nationale, Juan Guaido, est devenu le visage ?

L’opposition vénézuélienne emmenée par Juan Guaido est structurée autour de deux principaux partis politiques : Primero Justicia, auquel M. Guaido appartient, et Voluntad popular. Il s’agit de deux partis jeunes, créés sous Chavez. Les racines du premier plongent dans l’histoire la démocratie chrétienne vénézuélienne et le second se définit comme un mouvement de rénovation de la sociale démocratie. Ils ne revendiquent pas cet héritage, et, pour eux, l’idéologie n’est pas un facteur déterminant pour les partis d’opposition.

Les responsables de l’oppositon les plus chevronnés sont soit en prison, soit en résidence surveillée, soit en exil

Leur personnel politique est composé de technocrates ayant pour beaucoup fait des études à l’étranger, modérément libéraux en matière économique et désireux de retrouver un fonctionnement démocratique normal. Mais surtout, c’est un personnel politique jeune qui n’a connu que les chavistes au pouvoir, depuis 1998. On peut dire qu’ils leur donnent un coup de vieux. L’opposition n’a de toute façon pas d’autre choix que de s’appuyer sur de nouveaux visages, puisque ses responsables les plus chevronnés sont soit en prison, soit en résidence surveillée, soit en exil.

Juan Guaido est le symbole de l’opposition, mais ce statut lui est tombé dessus par hasard. Depuis qu’il a obtenu la majorité à l’Assemblée nationale, en 2015, et que cette institution a perdu tout pouvoir, les deux principaux partis de l’opposition y assurent une présidence tournante. Quand le moment a été jugé opportun pour que le président de l’Assemblée nationale revendique la tête de l’Etat en niant toute légitimité de Nicolas Maduro, c’est M. Guaido qui occupait ce poste.

Jusqu’où l’opposition entend aller dans sa confrontation avec le pouvoir ?

L’opposition actuelle est d’un genre nouveau. Elle n’a rien à voir avec ceux qui ont, par exemple, commis l’erreur de soutenir le coup d’Etat manqué contre Chavez, en 2002. Cette tentative de putsch, en échouant, avait renforcé l’hégémonie de Chavez et son emprise sur la compagnie pétrolière nationale, ce qui est la principale cause de la terrible crise économique et sociale que traverse le pays.

L’opposition d’aujourd’hui a tiré les leçons du passé. Elle ne succombe pas à la tentation de faire d’un militaire son homme fort providentiel, alors que le militarisme est au Venezuela une tendance lourde. Même si ses leaders sont issus d’une classe moyenne, elle se tient relativement éloignée des milieux d’affaires. De manière générale, l’opposition ne se place pas dans une démarche de confrontation totale mais tend la main aux chavistes désireux de quitter leur camp. La loi d’amnistie qu’a adoptée l’Assemblée nationale pour les dignitaires du régime est centrale à cet égard.

Juan Guaido représente une opposition modérée, il veut rétablir le dialogue politique et pour cela il doit faire monter pour Nicolas Maduro, le coût politique de la répression. L’opposition a senti qu’elle avait un réel soutien d’une très large partie de la société et que le pouvoir ne pouvait pas se permettre de s’en prendre directement à ses représentants. Par ailleurs, le pouvoir n’a pas déclaré l’état de siège ni de couvre-feu, il n’a pas ordonné aux forces de sécurité qui lui sont fidèles de tirer sur la foule dans les manifestations de l’opposition.

Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’il n’y a pas une répression au niveau très local contre des personnes moins en vue, au sein de la base des formations de l’opposition. Mais Juan Guaido et ses alliés ont réussi à mettre le pouvoir dans une position où la paix relève de son unique responsabilité, et à faire de l’Assemblée nationale le lieu incontournable d’une transition pacifique.

L’opposition est soutenue par de nombreuses puissances étrangères. Cet atout ne pourrait-il pas devenir encombrant, en donnant l’image d’une opposition complice d’ingérences extérieures ?

Il faut relativiser les liens de l’opposition vénézuélienne avec des Etats étrangers hostiles au pouvoir de Maduro. D’abord parce que la loi de financement des partis politiques ne permet pas à ces formations d’être financées par des acteurs extérieurs. Par ailleurs, l’opposition qu’incarne Guaido est une opposition de dialogue qui rejette l’option militaire. Ce qui est inquiétant c’est que les Etats-Unis paraissent prêts à tout. S’il ne parvient pas à avancer pacifiquement, Guaido risque de se faire déborder par des extrémistes qui prient pour une invasion extérieure ou pour un coup d’Etat. Tout le monde y perdrait. Il sera impossible de reconstruire la démocratie après cela.

La crise au Venezuela expliquée en 5 minutes
Durée : 04:35