Le Qatar a battu le Japon 3-1 en finale de la Coupe d’Asie vendredi à Abou Dhabi. / KHALED DESOUKI / AFP

A un peu moins de quatre ans de « sa » coupe du monde, le Qatar a désormais une certitude : son équipe de football a les moyens d’être à la hauteur de ce rendez-vous planétaire. Sa victoire (3 -1) sur le Japon, vendredi 1er février, à Abu Dhabi, en finale de la coupe d’Asie, témoigne des progrès fulgurants réalisés par cette sélection, que très peu d’observateurs prenaient jusque-là au sérieux.

Meilleure défense (1 but encaissé en 7 matchs), meilleure attaque (19 buts), meilleur buteur, avec Almoez Ali, qui a fait trembler les filets adverses à neuf reprises : Al-Annabi (« les bordeaux »), le surnom donné aux joueurs de l’émirat en raison de la couleur de leur maillot, ont affolé les statistiques.

Leur performance est d’autant plus remarquable qu’ils jouaient en terrain hostile. Le pays organisateur de la compétition, les Emirats arabes unis, a rompu il y a un an et demi toutes ses relations, tant diplomatique qu’économique, avec le Qatar. Abu Dhabi justifie ce blocus, auquel se sont joints l’Arabie Saoudite et le Bahreïn, en accusant Doha de collusion avec l’Iran et de soutien au « terrorisme » djihadiste. Un procès rejeté par la presqu’île, qui dénonce une violation de sa souveraineté.

Jets de chaussures et de bouteilles en plastique

Les citoyens qataris étant désormais interdits de territoire émirati, sauf permission expresse difficile à obtenir, les Qataris ont joué tous leurs matchs devant des tribunes vides ou bien acquises à leurs adversaires. En demi-finale, face aux Emirats, écrasés 4-0, les buts qataris ont été salués par des jets de chaussures et de bouteilles en plastique.

Les Qataris n’avaient jamais dépassé les quarts de finale en Coupe de l’Asie

« Dans ce contexte difficile, les Qataris ont fait preuve d’une maturité remarquable. Ils peuvent nourrir de véritables espoirs pour 2022, dit le français Stéphane Saillant, ex-directeur technique de l’AC Ajaccio, qui dirige depuis dix ans le centre formation d’Al-Gharafa, l’une des principaux clubs de foot de l’émirat. Ils disposent d’un collectif talentueux, qui arrivera à maturité pour le Mondial. Ils peuvent rêver de passer les phases de poule. Ce serait déjà extraordinaire. »

Modestes 93e du classement mondial de la FIFA, le onze qatari n’avaient jusque-là jamais dépassé les quarts de finale de la coupe d’Asie. En neuf participations depuis 1980 à ce tournoi continental, l’équipe n’avait remporté que six matchs sur un total de trente-deux. Lors de la précédente édition, en 2015, les joueurs avaient été sèchement éliminés au premier tour, avec trois défaites consécutives.

Les titres de gloire du onze qatari se limitaient à trois victoires en Coupe du Golfe (1992, 2004 et 2014), une compétition de faible niveau, regroupant les sélections des monarchies de la péninsule arabique. Sans grande tradition footballistique, avec un vivier de recrues très limité - la population locale n’excède pas 300 000 personnes, l’équipe de la cité-Etat semblait condamnée à jouer les figurants en 2022.

Dénicher des talents partout dans le monde

La métamorphose spectaculaire de ce collectif, mise en évidence par l’avalanche de buts inscrits par ses joueurs aux Emirats, notamment l’attaquant Almoez Ali, récompense une politique de détection et de formation de longue haleine, d’un parfait classicisme. « C’est tout sauf un hasard, dit Stéphane Saillant, c’est le résultat d’une stratégie entamée il y a une dizaine d’années. La fédération qatarie récolte les fruits de son travail et de sa vision. »

Pour repérer les éléments les plus prometteurs, le Qatar a fait subir des batteries de tests à des milliers d’écoliers qataris, expédié des dénicheurs de talents en Afrique et en Amérique du Sud et sollicité l’œil d’entraîneurs européens – les fameux sorciers blancs – recrutés à grands frais. Un groupe d’adolescents a commencé à se faire remarquer sur les pelouses qataries au tournant des années 2010, composé à la fois d’autochtones, comme Akram Afif, l’un des meilleurs passeurs de l’équipe couronnée vendredi et de naturalisés, comme l’attaquant virtuose Almoez Ali, né au Soudan.

Génération dorée

« Ces jeunes ont grandi et progressé ensemble, explique Stéphane Saillant. Le coach de l’équipe nationale, l’Espagnol Felix Sanchez, suit ces joueurs depuis qu’ils ont 13-14 ans. Ils les entraînaient déjà dans les sélections de jeunes ». Leur montée en puissance a été facilitée par le réseau d’infrastructures ultra-perfectionnées dont s’est doté le Qatar : aussi bien les clubs, qui bénéficient d’installations à faire pâlir d’envie de nombreuses formations de la Ligue 1 française, que l’académie Aspire, le plus grand complexe sportif couvert du monde, qui se veut un incubateur à champions, et Aspetar, une clinique dernier cri, où des stars du ballon rond viennent se faire soigner.

En 2017, les responsables du foot qatari ont décidé de privilégier les talents locaux

En 2014, signe avant-coureur de son triomphe émirati, cette génération dorée a remporté la coupe d’Asie des moins de 19 ans. A la même époque, pour faire fructifier le potentiel de ses protégés, le Qatar a pris des parts dans trois petits clubs européens de deuxième division, le KAS Eupen en Belgique, le Cultural y Deportiva Leonesa en Espagne, et le LASK Linz en Autriche. Les espoirs qataris s’y sont relayés ces dernières années, une façon pour eux de se frotter aux professionnels du Vieux Continent.

Enfin, en 2017, après l’échec de la sélection à se qualifier pour le Mondial russe, les responsables du foot qatari ont pris une décision cruciale : limiter au maximum le recours à des joueurs étrangers, privilégier autant que possible les talents locaux, de nationalité qatarienne ou du moins nés au Qatar. Un choix nourri par la désagréable expérience du Mondial de handball 2015, organisé à Doha. Les médias étrangers n’avaient cessé de souligner combien l’équipe qatarie, battue en finale par la France, était composée de « mercenaires ». Des Bosniaques, un Français, un Cubain, un Monténégrin, un Egyptien… Douze naturalisés sur les dix-sept sélectionnés.

Un esprit d’équipe « sans faille »

Le règlement de la FIFA, bien que moins laxiste que celui de la fédération internationale de handball, permet des accommodements. Il autorise des footballeurs naturalisés à porter le maillot de leur pays d’adoption à condition qu’ils y aient vécu cinq d’année d’affilée après leurs dix-huit ans et qu’ils n’aient jamais joué pour leur pays d’origine. « Il y a une époque où le capitaine de la sélection était un Uruguayen, qui ne parlait pas arabe, se souvient Stéphane Saillant. L’attachement au maillot n’était pas tout le temps optimal. Cela empêchait la population de s’identifier à l’équipe. »

La sélection actuelle comprend des joueurs naturalisés, mais la plupart sont de culture arabe

La sélection actuelle de football comprend toujours des joueurs naturalisés, mais en quantité moindre que par le passé et la plupart d’entre eux sont de culture arabe, comme l’Algérien Boualem Khoukhi, ou le Français Karim Boudiaf, formé à l’AS Nancy. « Ils ont les valeurs du pays et à chaque match, ils donnent tout pour les défendre. L’esprit d’équipe est sans faille », assure Stéphane Saillant.

La route reste longue avant 2022. Rien ne garantit que les joueurs qataris brilleront à domicile. Mais durant cette coupe d’Asie, Al-Annabi ont fait un pas important. Ils ont gagné le droit d’être respectés.