Christian Sewing, PDG de la Deutsche Bank, vendredi 1er février, à Francfort. / KAI PFAFFENBACH / REUTERS

Deutsche Bank (DB) a sauvé les meubles, vendredi 1er février. La première banque allemande a dégagé, en 2018, un léger bénéfice après impôts de 341 millions d’euros, le premier depuis 2014. Juste assez pour permettre à Christian Sewing, PDG du groupe depuis l’éviction de John Cryan, en avril 2018, de justifier le changement de tête au sein de la banque en crise. « Le retour aux bénéfices montre que DB est sur le bon chemin », a déclaré M. Sewing.

Le bénéfice annuel est le seul élément positif que DB est en mesure de présenter. Car le tableau reste sombre : le chiffre d’affaires a baissé (– 4 %, à 23,5 milliards d’euros), le groupe est en perte au quatrième trimestre 2018, et les efforts entrepris ces derniers mois par la direction n’ont pas convaincu les marchés. L’action, qui a perdu, en 2018, près de la moitié de sa valeur, vaut 8 euros. Bien plus bas que les 10 euros de 2016, où des rumeurs de sauvetage public avaient dû être démenties. Et à des années-lumière des 84 euros de l’année 2007, quand DB tutoyait les grands noms de la finance de Wall Street.

La situation est si tendue que les rumeurs se sont multipliées ces derniers mois. L’une d’entre elles tient actuellement en haleine la scène financière de Francfort : la possible fusion de Deutsche Bank avec sa grande rivale Commerzbank. L’idée, déjà évoquée il y a plusieurs années, a gagné en crédibilité. En cause : l’implication supposée dans le projet du ministère des finances, dirigé depuis un an par le social-démocrate Olaf Scholz.

Crainte d’un énorme plan social

Selon le journal économique Handelsblatt, le ministre exerce une pression sur les deux établissements afin qu’ils fusionnent. Citant une source des régulateurs allemands, le Wall Street Journal pointait aussi, jeudi 31 janvier, les efforts du ministre social-démocrate pour marier les deux banques. Contacté par Le Monde, le ministère des finances a refusé de commenter l’information.

Le projet est pourtant loin de faire l’unanimité. Les syndicats redoutent un énorme plan social. De nombreux experts rappellent que l’union de deux infirmes n’a jamais fait un bien portant. Commerzbank est en effet aussi boiteuse que DB : elle aussi a perdu environ la moitié de sa valeur boursière en 2018. En 2009, elle avait été sauvée par l’Etat fédéral, qui détient toujours 15 % du capital. Humiliation suprême, elle est sortie au mois de septembre 2018 de l’indice de référence DAX, qui regroupe les trente premiers groupes cotés à Francfort, pour laisser la place à la fintech Wirecard. Commerzbank et Deutsche Bank ont, par ailleurs, une culture d’entreprise très différente, exacerbée par des décennies de rivalité.

Changement de cap stratégique

Mais l’heure n’est peut-être plus à la coquetterie, au moment où la conjoncture se retourne en Allemagne. Au ministère des finances, les signes de volontarisme politique en matière bancaire s’accumulent, marquant un changement de cap stratégique. Depuis la crise financière, Berlin s’était tenu à bonne distance de Francfort, échaudé par le renflouement par le contribuable de plusieurs banques publiques et privées, qui avaient imprudemment investi dans des titres hypothécaires américains.

Mais dès son arrivée à la « rue Guillaume », Olaf Scholz a fait entendre un autre discours. Il répète à chaque occasion que l’Allemagne « a besoin de banques globales et fonctionnelles, qui puissent se mesurer à la concurrence », pour accompagner les entreprises allemandes à l’étranger. Autrement dit, il est temps que la quatrième économie mondiale, qui dispose d’une place financière redorée par le Brexit, se dote enfin d’un champion bancaire à sa mesure.

Le ministre n’avance pas en terre inconnue. Il est conseillé, depuis son arrivée, par un expert dont la presse allemande parle de plus en plus : Jörg Kukies, ancien codirecteur Allemagne de la banque américaine Goldman Sachs. Le secrétaire d’Etat est chargé des questions européennes et des marchés financiers. Son carnet d’adresses ne se limite pas au monde bancaire. Selon l’hebdomadaire Die Zeit, il est resté proche de l’actuelle présidente du Parti social-démocrate, Andrea Nahles, avec qui il partage un passé militant.