La mesure phare de la loi du 13 avril 2016 sur la prostitution, l’interdiction de l’achat d’un acte sexuel, communément appelée la « pénalisation des clients », contrevient-elle à plusieurs droits garantis par la Constitution ? La question prioritaire de constitutionnalité (QPC), posée au Conseil d’Etat par neuf associations dont Médecins du monde, le Syndicat du travail sexuel (Strass) et plusieurs travailleurs du sexe, avait été transmise en novembre au Conseil constitutionnel. Dans sa décision, rendue vendredi 1er février, l’institution a répondu par la négative à l’ensemble des griefs et jugé que les dispositions attaquées de la loi « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées » « sont conformes à la Constitution ».

Les juges constitutionnels se sont particulièrement attardés sur le grief de la méconnaissance de la liberté personnelle soulevé par les requérants. Ils rappellent dans leur décision qu’« en faisant le choix de pénaliser les acheteurs de services sexuels, le législateur a entendu, en privant le proxénétisme de sources de profits, lutter contre cette activité et contre la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle, activités criminelles fondées sur la contrainte et l’asservissement de l’être humain. Il a ainsi entendu assurer la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre ces formes d’asservissement et poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions ».

A ce titre, sachant que le législateur a estimé que « dans leur très grande majorité, les personnes qui se livrent à la prostitution sont victimes du proxénétisme et de la traite », le Conseil constitutionnel ne voit pas de déséquilibre entre « cet objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et, d’autre part, la liberté personnelle ».

Le rappel par les juges que les prostitués sont majoritairement des victimes de la traite ravira les associations abolitionnistes. « C’est très important sur le plan des principes qu’on ne puisse pas consacrer constitutionnellement un marché de la prostitution et un droit constitutionnel à acheter un acte sexuel, qui est par définition le fruit d’un rapport de violence », a réagi Cédric Uzan-Sarano, avocat de l’Amicale du Nid. Aux côtés d’autres associations comme le Mouvement du Nid et la Coalition pour l’abolition de la prostitution, elle s’était portée partie intervenante en défense des dispositions de la loi.

Conditions de travail dégradées

Mardi 22 janvier, lors de l’audience au Conseil constitutionnel, pas moins de dix-sept avocats s’étaient succédé devant les juges, représentant les intérêts de deux camps irréconciliables. D’un côté, celui des requérants, qui avait dénoncé une « loi morale » par la voix de l’avocat Patrice Spinosi, pointant une « infantilisation des personnes prostituées », privées désormais du « droit de disposer de son corps ». Outre la liberté personnelle, les requérants soulevaient l’entorse faite, selon eux, par la loi à la liberté d’entreprendre, au respect de la vie privée et au principe de nécessité et de proportionnalité des peines. Pour l’ensemble de ces griefs, les juges constitutionnels ont estimé que les dispositions contestées n’étaient « manifestement pas disproportionnées ».

Une autre ligne de fracture, au-delà du respect ou non des droits constitutionnels, s’était exprimée lors de l’audience, concernant les conditions d’exercice des prostitués. Médecins du monde estime en effet que la pénalisation des clients a entraîné une dégradation de leurs conditions de travail, en les contraignant à exercer dans des lieux plus reculés, et en réduisant leur capacité de négociation avec les clients, ce qui entraîne selon l’ONG des pratiques dangereuses sur le plan sanitaire, comme l’acceptation de pratiques sexuelles sans protection. Un grief également écarté par les juges constitutionnels, qui prennent soin de rappeler à plusieurs reprises dans leur décision que leur rôle « n’est pas de se substituer au législateur », y compris donc « sur les conséquences sanitaires pour les personnes prostituées des dispositions contestées ».