Dans le salon Golden Rams Barber Shop de Sal Martinez, à Westminster (Califonie), le 29 janvier. / Aude Lasjaunias/Le Monde

« Il n’y avait pas d’ascenseur pour le paradis, j’ai dû prendre l’escalier. » Perdue au milieu des cadres à la gloire des Rams qui ornent les murs de la petite échoppe de Sal Martinez, à Westminster, à quelques kilomètres au sud de Los Angeles (Californie), la phrase résume le parcours du combattant vécu par ce fan de longue date.

Dimanche 3 février, « son » équipe tentera de ramener la deuxième bague de son histoire (après celle de janvier 2000) face aux Patriots de la Nouvelle-Angleterre à Atlanta, en Georgie, lors du Super Bowl, la grande finale du championnat professionnel de football américain. Celle pendant laquelle tout le pays s’arrête ; celle pendant laquelle 100 millions de personnes se massent devant leurs écrans. Un moment que ce barbier de 56 ans attendait avec impatience.

Une relation ambiguë

Au soir de la qualification – litigieuse – contre les Saints de La Nouvelle-Orléans, des cris de joie se sont échappés des bars sportifs du quartier de Downtown Los Angeles. Depuis, les rares transports publics de la ville affichent des « Go Rams » sur leur pare-brise, des stands de vente de tee-shirts fleurissent à tous les coins de rues et les halls des immeubles de bureaux se parent de bleu et or, les couleurs de l’équipe…

Quant aux visiteurs arrivant à l’aéroport LAX et qui seraient passés à côté de l’information, le ravalement de façade de Randy’s Donuts, vénérable institution connue des cinéphiles et visible depuis les airs, sert de piqûre de rappel.

L’emblématique enseigne de Randy’s Donuts à Inglewood, repeinte aux couleurs de Rams, le 29 janvier. / Jae C. Hong / AP

Une telle ferveur était impensable il y a peu, a fortiori pour les Angelinos, qui entretiennent avec l’équipe une relation ambiguë. Et pour cause, en 1994, après quarante-huit ans passés sous le soleil californien, les Rams avaient fait leurs valises pour Saint-Louis dans le Missouri… avant de revenir en 2016. Ce déménagement dans le Midwest avait été vécu par certains comme une trahison.

« C’était comme un divorce, explique le maire démocrate de Los Angeles, Eric Garcetti, supporteur des « béliers » dans sa jeunesse. Vingt ans plus tard, on vous demande de retomber amoureux. Cela peut prendre du temps. »

« Relégués dans les coins les plus sombres des bars »

Avec l’éloignement, les liens se sont distendus. D’abord parce que l’équipe, même si elle est l’une des plus vieilles de la NFL – elle a été créée en 1936 à Cleveland dans l’Ohio –, ne jouit pas de l’aura de certaines de ses rivales. Elle ne peut pas, pour l’heure, se targuer d’une histoire de légende, avec à son palmarès trois Super Bowl disputés (en 1979, 2000 et 2002) – celui du 3 février exclu – pour un seul titre remporté (en 2000).

Si l’adage « loin des yeux, loin du cœur » se vérifie, il est aussi plus compliqué de soutenir à distance une équipe dont les résultats ont décliné. Après avoir remporté le trophée Vince-Lombardi (remis au vainqueur du Superbowl), puis échoué deux ans plus tard, déjà face aux Patriots du duo Tom Brady-Bill Belichick, les Rams ont entamé une longue plongée dans les limbes de la NFL et ont été décrits comme l’une des pires équipes du championnat.

« Petit à petit, les matchs ont arrêté d’être diffusés, reléguant les fans dans les coins les plus sombres de quelques bars anonymes, à suivre les rencontres sans le son », raconte l’un des contributeurs du site de fans, Turf Show Times, Skye Sverdlin.

Pour autant, certains comme Saul Martinez ont entretenu la flamme au fil des ans : ce natif du comté d’Orange avait ouvert, l’année du départ de la franchise, son salon de coiffure pensé comme un lieu de retrouvailles pour les fans privés, comme lui, des joies d’avoir une équipe à domicile.

Aujourd’hui, il l’assure : « C’est comme si votre ami d’enfance revenait en ville. Oui, il a déménagé, bien sûr il a vécu loin et il s’en est passé des choses, mais le lien qui vous unit est toujours là. »

Dans le salon Golden Rams Barber Shop de Sal Martinez, à Westminster (Californie), le 29 janvier. / Aude Lasjaunias/Le Monde

Un projet de stade pharaonique

Ce retour à L.A., c’est le milliardaire Stan Kroenke, propriétaire des Rams, qui l’a orchestré. Pendant que l’équipe luttait sur le terrain à Saint-Louis, il s’est penché sur les moyens de rendre sa grandeur à la franchise. A défaut d’avoir l’ivresse, il a misé sur le flacon : le renouveau des « béliers » passera, en partie, par un nouveau stade.

Après avoir essuyé des refus de financement de l’Etat du Missouri, ce projet a finalement été développé à Inglewood, dans la banlieue de Los Angeles. Avec la démesure qui a fait la réputation de la Cité des anges. Le complexe sportif, qui doit être livré en 2020, est le plus cher de l’histoire des Etats-Unis.

Estimés à 5 milliards de dollars (4,35 milliards d’euros), le Los Angeles Stadium et le quartier de divertissements d’Hollywood Park comprendront, outre une enceinte de 70 240 places, un centre de spectacles de 6 000 sièges, des immeubles de bureaux, des magasins, des restaurants, des unités résidentielles, des hôtels et des parcs. Le tout sur une surface trois fois plus grande que Disneyland et deux fois plus importante que la Cité du Vatican.

Situé à quelques encablures de LAX, il sera visible depuis les airs et accueillera le Super Bowl en 2022, puis la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques en 2028. Les Rams partageront leur nouveau stade avec les Chargers, qui ont rejoint la Cité des anges en 2017.

« Les enjeux sont majeurs, explique Matt Franciscovich, ancien employé de la National Football League. Tout ce que j’ai entendu jusqu’à présent donne l’impression que ce sera épique. L’un des gros problèmes, cependant, pourrait être le prix des billets. Les fans devront probablement payer cher pour assister à une rencontre de ce nouvel espace ultramoderne. »

Le chantier du Los Angeles Stadium, à Inglewood, le 29 janvier. / Aude Lasjaunias/Le Monde

« Cinquième roue du carrosse »

Ce projet pharaonique, synonyme du retour d’une franchise de football américain à L.A., tombe à point nommé pour la NFL, qui cherchait à reprendre pied sur le deuxième marché médiatique du pays, après une absence de vingt-deux ans. Los Angeles (20 millions d’habitants) est la mégalopole la plus peuplée d’Amérique du Nord.

Mais, si le football américain est de loin le sport le plus populaire des Etats-Unis et si la plupart des franchises de la NFL font partie des références de la scène sportive de leur ville, les Rams ont encore du chemin à faire. Dans la Cité des anges, ils sont perçus comme la « cinquième roue du carrosse » en comparaison de leurs illustres comparses du basket (Lakers et Clippers) ou du base-ball (Dodgers et Angels), dont la légende et la renommée dépassent largement les frontières de la mégalopole californienne.

Et même en matière de football américain, les (télé)spectateurs angelinos ont plutôt tendance à leur préférer d’autres équipes. Le Wall Street Journal a ainsi rapporté que le soir de la qualification face aux Saints de La Nouvelle-Orléans, le match n’a pas été la rencontre la plus suivie à L.A., où les téléspectateurs lui ont préféré le duel entre Patriots et Chiefs de Kansas City.

« On ne peut pas encore dire que les Rams sont en train de transformer L.A. en une “ville de football américain”, mais la situation évolue progressivement. Avec les succès remportés par l’équipe au cours des deux dernières saisons, elle commence à gagner le cœur des Angelinos. C’est presque comme si on partait de zéro », relève Matt Franciscovich.

Un Super Bowl permettrait aux « bleu et or » de voler un peu de lumière aux franchises rivales. « Les Rams font du beau boulot, et l’expérience du stade est tellement agréable. Ils sont sur une belle lancée et vous allez voir, dimanche, quand ils vont battre les Patriots, glisse, confiant, Sal Martinez. Tout le monde aime les vainqueurs, vous savez. »