Gianni Infantino, le 17 janvier, à Marrakech. / STRINGER / REUTERS

Président de la Fédération internationale de football (FIFA) depuis 2016, Gianni Infantino, 48 ans, commence à connaître la chanson. L’Italo-Suisse a entamé sa campagne pour sa réélection, multipliant les rencontres avec les « grands électeurs », à savoir les patrons des 211 fédérations nationales membres de l’instance planétaire. En quête d’un deuxième mandat de quatre ans, lors du congrès de Paris, le 5 juin, le dirigeant avait jusqu’au mardi 5 février pour déposer officiellement sa candidature.

Alors que la FIFA s’attend à des revenus records (6,1 milliards de dollars, soit 5,3 milliards d’euros) pour le cycle 2015-2018, M. Infantino a un boulevard devant lui. Faute d’adversaire à sa taille – l’ex-international suisse Ramon Vega s’est lancé en quête des parrainages nécessaires – le quadragénaire est, jusqu’à présent, l’unique candidat à sa succession. Comme le fut son prédécesseur (1998-2015) et compatriote Sepp Blatter, lors des scrutins de 2007 et 2011.

Après avoir promis de distribuer, jusqu’en 2023, 1,2 milliard de dollars de fonds de développement aux fédérations nationales, le patron du foot mondial est, en outre, soutenu par la plupart des confédérations continentales, dont l’Afrique. Seule l’Union des associations européennes de football (UEFA) – dont Gianni Infantino fut le secrétaire général (2009-2016) – et son président slovène Aleksander Ceferin semblent enclins à remettre en cause ses projets, comme la réforme de la Coupe du monde des clubs, et à critiquer son règne.

En vertu des statuts de la FIFA sur la limite des mandats, Gianni Infantino peut aspirer à rester aux commandes jusqu’en… 2031. Jusqu’à présent, il est sorti indemne des révélations des « Football Leaks », en novembre 2018, même si ses relations troubles avec son ami d’enfance Rinaldo Arnold, procureur du Haut-Valais, font l’objet d’une enquête du procureur extraordinaire suisse Damian K. Graf.

Ancienne garde rapprochée à l’UEFA

Le patron du foot mondial s’est évertué à verrouiller son fief. En témoigne, ces derniers mois, la refonte de l’état-major de la FIFA. Ultime rescapé de l’administration Blatter, le directeur juridique Marco Villiger a quitté l’instance, en août 2018, prétendument « d’un commun accord ». En réalité, M. Villiger, ex-confident et avocat zélé de M. Blatter, a été poussé vers la sortie.

Dans un « mémo », révélé par le journal allemand Süddeutsche Zeitung, le juriste avait émis des réserves, en mars 2018, à son président quant à son lucratif (25 milliards de dollars) projet de réforme de Coupe du monde des clubs et de Ligue mondiale des nations, en lien avec le conglomérat SoftBank et l’Arabie saoudite.

M. Villiger est soupçonné d’être à l’origine de la chute de l’ex-président de l’UEFA Michel Platini, en ayant transmis au parquet suisse l’information relative au paiement de 2 millions de francs suisses fait, en 2011, au Français par Sepp Blatter. Il est par ailleurs impliqué dans « l’affaire » de la plainte déposée auprès du comité d’éthique de la FIFA, en avril 2018, contre la Sénégalaise Fatma Samoura, secrétaire générale de la FIFA, dans le cadre de l’attribution du Mondial 2026. Ladite plainte a été classée sans suite par le comité d’éthique.

Pour remplacer M. Villiger, Gianni Infantino a fait venir à Zurich, au siège de la FIFA, son ancienne garde rapprochée à l’UEFA. Soucieux de s’entourer de personnalités enclines à lui servir de bouclier, il a recruté l’Ecossais Alasdair Bell, ex-directeur juridique de la Confédération européenne, comme secrétaire général adjoint chargé de l’administration. Il a promu l’Espagnol Emilio Garcia, ex-directeur « intégrité » de l’UEFA, au poste de directeur des affaires légales de la Fédération.

A ces « débauchages » s’ajoute la nomination de Carlos Schneider Salvadores, ex-conseiller juridique à l’UEFA, à la tête du secrétariat de la chambre d’instruction du comité d’éthique et de la commission de discipline. Ancien membre du comité juridique de l’UEFA, l’Italien Mario Gallavotti occupe, lui, le poste de directeur « des commissions indépendantes » de la FIFA. L’arrivée de ces anciens cadres de l’UEFA à des postes stratégiques pousse un ancien collaborateur d’Infantino à parler « d’infantilisation de la FIFA ».

Pour défendre les intérêts de la Fédération, Gianni Infantino a également fait venir auprès de lui un proche : l’avocat suisse Michele Bernasconi, arbitre au Tribunal arbitral du sport de Lausannne et par ailleurs conseil juridique « externe » de l’UEFA. L’étude Bär & Karrer de M. Bernasconi est désormais mandatée par la FIFA, qui était contractuellement liée au cabinet californien Quinn Emanuel jusqu’en décembre 2018.

Rapport négatif visant Fatma Samoura

Dépeint par une source proche de l’UEFA comme une « éminence grise d’Infantino », M. Bernasconi n’a pas souhaité confirmer ni infirmer ce rapprochement. « Toute activité de mon étude est couverte par le secret professionnel », nous a écrit l’avocat, qui a par ailleurs fugacement conseillé Michel Platini, à l’automne 2015, quand sa candidature à la présidence de la FIFA était plombée par « l’affaire des 2 millions de francs suisses ».

Signe que Gianni Infantino renforce son emprise sur la FIFA, un rapport confidentiel sur l’état de l’administration de l’organisation a été réalisé, en 2018, par l’un de ses proches, le Norvégien Kjetil Siem. Directeur du bureau présidentiel, ce dernier a auditionné une cinquantaine de salariés et rédigé un mémo incendiaire. Plusieurs extraits de ce rapport ont fuité dans le cadre des « Football Leaks » et concernaient les fonds alloués aux fédérations nationales dans le cadre du programme Forward.

Selon nos informations, M. Siem y égratigne la gestion de la secrétaire générale Fatma Samoura, remet en cause sa compétence, tout en critiquant son adjoint croate Zvonimir Boban, ainsi que Joyce Cook, chargé des fédérations nationales. Qui a commandité ce rapport ?

Contactée par Le Monde, la FIFA estime « inapproprié le fait de commenter le contenu de ces échanges privés entre membres du staff de la FIFA ». « Cela ne surprendra personne que différentes personnes puissent avoir des opinions différentes, et cela s’applique à la FIFA, juste comme dans n’importe quelle organisation ou administration publique dans le monde », argue-t-on à Zurich.

Doit-on voir, à travers ce rapport, la volonté de Gianni Infantino de fragiliser sa secrétaire générale à l’approche du congrès ? Et ce, alors que de nombreux proches de la FIFA estiment qu’Alasdair Bell sera le prochain numéro deux de l’instance. « Je ne serais pas surpris qu’Infantino veuille se débarrasser de sa secrétaire générale. J’ai appris qu’il n’était plus tellement satisfait d’elle », murmure un ex-cadre de la Fédération. A l’approche du scrutin présidentiel du 5 juin, l’atmosphère à Zurich devient de plus en plus florentine.