Voix d’orientation. « Le Monde Campus » et « La ZEP », média jeune et participatif, s’associent pour faire témoigner lycéens et étudiants sur leurs parcours d’orientation. Aujourd’hui, Yamine, 21 ans, en troisième année de licence de lettres à l’université Paris-Nanterre.

En 2013, je suis arrivé dans un petit lycée polyvalent de ZEP, dans une ville de banlieue parisienne. Vous savez, ce genre de ville où vous croisez les mêmes têtes partout et tout le temps. Je suis arrivé dans un mood [état d’esprit] confiant, après des années chaotiques de collège, mais aussi hyperblasé.

Je voulais aller en seconde générale et poursuivre sur une première et une terminale littéraires. Cela a vite été la désillusion. Suite à divers problèmes de santé, je n’ai pas eu les résultats nécessaires pour passer en seconde générale et j’ai été orienté en pro, et cela malgré un appel auprès du conseil de classe.

Ne voulant pas aller dans le lycée pro de ma ville, par crainte de recroiser des gens que je n’aimais pas spécialement, j’ai demandé à aller dans un autre lycée dans une section professionnelle gestion-administration (pour vous la faire courte, c’est un mix entre ce qu’étaient les bac pro secrétariat et comptabilité). J’ai été accepté. Les cours se passaient bien, je me suis fait des amis rapidement, à l’opposé de ce qui s’était passé au collège, donc ça m’a rassuré.

Arrivé en terminale, on devait choisir si on allait aller en BTS, à la fac. Au début, tout allait bien, chacun faisait ses plans d’avenir. Les interventions des conseillères d’orientation, enfin, de désorientation, se sont multipliées. Une chose m’a frappé : aucune de ces conseillères ne proposait la fac comme une voie possible après le bac pro. J’ai trouvé ça bizarre, alors je me suis permis de poser la question de but en blanc : « Et la fac ? Elle est inaccessible aux bac pros ou… ? » La conseillère m’a répondu : « Il est préférable pour vous d’aller en BTS. » Naïf comme j’étais, je lui ai demandé s’il s’agissait d’un BTS en rapport avec les lettres. Elle m’a répondu que non. Elle parlait d’un BTS comptabilité. Quelle belle blague. Après cette intervention, j’ai fui celles qui étaient programmées pour le reste de l’année, sachant qu’elles ne me serviraient à rien.

L’année suivait son cours et, un après-midi, notre prof principal nous a convoqués pour des entretiens individuels afin de faire le point sur nos décisions d’orientation. J’écoutais les autres passer pour connaître leurs projets. Tous, sans exception, prévoyaient d’aller en BTS. J’ai halluciné. J’étais le seul de ma classe à avoir l’ambition d’aller à la fac. Mon tour est arrivé. J’ai exposé mon projet au prof et je n’ai pas été surpris de l’entendre me dire : « Tu sais, la fac, c’est pas adapté aux bac pro. Le système est différent. Il y a des partiels. » Je n’ai pas pu m’empêcher de lui répondre, de la manière la plus insolente possible : « Je n’ai clairement pas envie de finir ma vie à faire un travail que je déteste parce que j’ai fait des études que je n’aime pas. » Il a froncé les sourcils devant mon caractère buté, a noté quelques trucs sur sa feuille et m’a laissé partir. Après cet entretien, j’étais clairement décidé, coûte que coûte, à aller à la fac.

J’ai donc entré mes différents vœux sur APB (maintenant Parcoursup) en mettant en priorité les facs près de chez moi et quelques BTS communication, par sécurité. J’ai passé mes épreuves du bac dans le stress le plus total et, au mois de juin, le jour des résultats APB et du bac, devinez qui a eu son premier vœu et son bac avec mention ? J’étais si soulagé ! Les profs ne prennent pas en compte votre aspirations ou vos goûts. Tu es en bac pro gestion-administration, eh bien tu vas en BTS comptabilité. Euh, thank you, next. Ils ne se cassent pas la tête avec votre cas, ne prennent pas le temps de vous connaître.

Je suis aujourd’hui en troisième année de licence de lettres à Nanterre. Je ne vais pas vous mentir : quand on ne suit pas les enseignements adéquats en amont de la fac, quel que soit le domaine, ça exige de travailler plus. Au début, je me sentais largué face aux autres élèves. Vide de connaissances. Nous n’avions clairement pas le même bagage. En bac pro, on aurait pu étudier les maths, le français ou l’histoire-géo avec un programme similaire, non ? Histoire que des gens désireux comme moi de ne pas être bloqués dans un cursus arrivent à la fac avec un package de connaissances suffisamment solide.

Ce qui m’a également heurté, c’est la chute vertigineuse de mes résultats. Mon entrée à la fac m’a clairement mis une énorme gifle. Je passais d’élève lambda à élève très moyen. Je ne maîtrisais pas les méthodes propres à ma filière. C’est ce qui m’a largement desservi. Mais vous inquiétez pas, on s’y fait.

Si je devais me souvenir d’une phrase à propos de mon arrivée à la fac, ce serait la remarque de cette fille : « T’étais en bac pro ? Mais qu’est-ce que tu fais ici ? » J’étais censé prendre ça comment ? Cette même fille a lâché ses études et, moi, je suis toujours là, à m’accrocher, malgré des notes parfois à ras du sol. Alors, ne baissez pas les bras. Ne vous basez pas sur votre filière actuelle pour vous coincer mentalement dans une orientation. Rien n’est définitif. Les profs ne sont pas décisionnaires de votre avenir.

La zone d’expression prioritaire (ZEP) accompagne la prise de parole des 15-25 ans

La zone d’expression prioritaire (ZEP) est un dispositif d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans par des journalistes professionnels. Par l’intermédiaire d’ateliers d’écriture dans des lycées, universités, associations étudiantes ou encore dans des structures d’insertion, ils témoignent de leur quotidien et de l’actualité qui les concernent.

Tous leurs récits sont à retrouver sur Le Monde Campus et sur la-zep.fr.