En novembre 2018, à la suite d’une erreur commise par un procureur de Virginie, les médias découvrent que la justice fédérale américaine a lancé une inculpation secrète contre Julian Assange, le chef de WikiLeaks. Cette procédure américaine d’exception est justifiée par la difficulté à appréhender l’accusé, réfugié dans l’ambassade d’Equateur à Londres depuis 2012.

Cette révélation, involontaire, s’est inscrite dans un contexte où l’ensemble des procédures visant Assange sont le plus souvent secrètes. Ce, notamment au Royaume-Uni, où Julian Assange affronte la justice anglaise depuis 2010, lorsque la Suède a émis un mandat d’arrêt européen pour l’entendre dans le cadre de deux plaintes pour abus sexuels. Il a alors nié ces accusations, et affirmé que la Suède ne serait qu’une première étape avant une extradition vers les Etats-Unis, qui veulent le juger pour espionnage.

En décembre 2010, au moment même où WikiLeaks a commencé la publication de documents diplomatiques américains confidentiels, il a été arrêté par la police londonienne et incarcéré pendant dix jours, avant d’être libéré sous caution en attendant que la justice se prononce sur la demande d’extradition suédoise. Pendant un an et demi, il est resté assigné à résidence avec couvre-feu, pointage quotidien au commissariat et port d’un bracelet électronique.

Lorsque, en juin 2012, ses recours devant la justice anglaise ont été épuisés, Julian Assange est allé se réfugier dans l’ambassade d’Equateur, qui lui a accordé l’asile politique. Aussitôt, la police de Londres a mis en place autour de l’ambassade un système de surveillance physique et électronique très sophistiqué, et très coûteux.

Un dossier loin d’être « ordinaire »

Six ans et demi plus tard, Assange est toujours dans l’ambassade, car le Royaume-Uni s’est montré totalement inflexible, refusant toutes les solutions de compromis. On sait aujourd’hui, cependant, que depuis le début de l’affaire, les procureurs anglais ont tout fait pour empêcher la libération de Julian Assange.

Des tractations confidentielles entre le Royaume-Uni et la Suède ont été découvertes tardivement, grâce à la persévérance d’une Italienne, Stefania Maurizi, journaliste au quotidien La Repubblica. En vertu des lois sur la liberté de l’information, Mme Maurizi a demandé à plusieurs reprises aux gouvernements britannique et suédois de lui fournir les correspondances des magistrats chargés du dossier. Les Britanniques ont fini par envoyer quelques documents tellement censurés qu’ils n’ont plus aucun sens, annonçant ensuite que les messages échangés avec la justice suédoise ont été effacés quand le procureur chargé de l’affaire est parti à la retraite.

En revanche, les Suédois font preuve de plus de transparence, au moins dans un premier temps. On apprend ainsi que, dès 2011, un procureur anglais avait vivement déconseillé à son homologue suédoise de venir à Londres pour interroger Julian Assange, alors que cette démarche, assez courante, aurait permis de faire avancer les choses : « Ne croyez surtout pas que nous gérons cette affaire comme une demande d’extradition ordinaire », affirme-t-il. Puis, en 2013, la procureure suédoise envisage d’abandonner les poursuites, mais le même magistrat anglais fait tout pour l’en dissuader : « Vous n’allez pas vous dégonfler ? ».

Critiques de l’ONU

Sur la scène internationale, la volonté britannique de maintenir Julian Assange prisonnier dans l’ambassade est quasi officielle depuis fin 2015, lorsqu’une commission des Nations unies affirme qu’il est détenu arbitrairement, et exige sa libération. Le gouvernement britannique fait appel de cette décision, et quand celle-ci est confirmée par une autre instance de l’ONU, il décide de ne pas en tenir compte, au mépris de ses engagements internationaux.

En juin 2017, la procureure suédoise, constatant l’impossibilité d’appréhender l’accusé, abandonne ses poursuites. Aussitôt, la justice britannique annonce que s’il sort de l’ambassade, il sera arrêté, car, en 2012, il n’avait pas respecté les conditions de sa liberté conditionnelle. En général, ce délit mineur est puni d’une amende ou de quelques semaines de prison, mais Assange craint toujours que les Britanniques en profitent pour le livrer aux Etats-Unis. A cette occasion, son avocate Jennifer Robinson réaffirme la position de son client : « Julian a toujours dit qu’il était prêt à affronter la justice britannique, mais pas si le prix à payer est l’injustice américaine ». Il tente de faire annuler ce nouveau mandat d’arrêt devant un tribunal londonien, mais il est débouté.

Julian Assange à l’ambassade d’Equateur à Londres, en décembre 2012. / Kirsty Wigglesworth / AP

De son côté, la journaliste Stefania Maurizi poursuit son travail, en tentant d’obtenir des informations sur les contacts entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni concernant Assange, en vertu des lois sur la liberté de l’information. Devant le refus de l’administration, elle porte plainte devant un tribunal londonien. Elle est déboutée en première instance, mais fait appel.

Dans la foulée, elle dépose une autre plainte, contre la Metropolitan Police (Scotland Yard), pour obtenir d’éventuelles correspondances entre Londres et Washington concernant trois proches collaborateurs de Julian Assange : deux Britanniques, Sarah Harrison et Joseph Farrell, et un Islandais, Kristinn Hrafnsson, ancien journaliste de télévision, devenu fin 2018 rédacteur en chef de WikiLeaks. On sait que tous trois font l’objet d’une enquête aux Etats-Unis, car en 2015, Google les a informés, a posteriori, que les données personnelles de leurs comptes avaient été saisies par la justice.

En décembre 2018, la journaliste italienne obtient gain de cause, au moins en théorie : la cour d’appel ordonne à la police de confirmer l’existence des documents en question et de les transmettre à la plaignante, ou, à défaut, d’expliquer pourquoi elle refuse de le faire. Le 30 janvier 2019, Scotland Yard envoie enfin une réponse écrite, mais Mme Maurizi a décidé de prendre son temps avant d’en faire connaître son contenu.

Sa santé se dégrade

Pendant ce temps, dans l’ambassade d’Equateur, la situation de Julian Assange se détériore, car ses hôtes se lassent de sa présence. Le président équatorien Rafael Correa, qui avait toujours soutenu Assange, a quitté le pouvoir en mai 2017. Son successeur, Lenin Moreno, a moins d’affinités avec le reclus et souhaite améliorer les relations de son pays avec les Etats-Unis.

Cela dit, dans un premier temps, le nouveau président fait montre d’efforts pour sauver Julian Assange : fin 2017, il lui accorde la nationalité équatorienne, puis lui octroie le statut de diplomate et tente de le faire accréditer par les autorités britanniques, ce qui lui permettrait de quitter l’ambassade en étant protégé par l’immunité diplomatique. Le Royaume-Uni refuse cet arrangement.

Depuis, l’Equateur semble de plus en plus enclin à livrer Julian Assange à la police londonienne, d’une façon ou d’une autre. Depuis le printemps 2018, il limite ses contacts avec le monde extérieur et lui impose des conditions de vie de plus en plus pénibles. Après six ans et demi d’enfermement, la santé physique et mentale du reclus commence à se dégrader. S’il tombe réellement malade, l’ambassade pourrait décider d’une évacuation sanitaire vers un hôpital londonien. Il serait alors placé en état d’arrestation, et les Etats-Unis pourraient dévoiler leur inculpation secrète puis envoyer une demande d’extradition aux autorités britanniques.