L’arrivée de la course de pirogues, à l’occasion de la quinzième édition du festival Ségou’Art, au Mali. / Morgane Le Cam

Sur les quais bordant le fleuve Niger, Gre Keijzer ne passe pas inaperçue. Cette touriste hollandaise est quasiment la seule Occidentale à regarder arriver les vainqueurs de la course de pirogues. Une des activités les plus populaires du festival Ségou’Art, dont la quinzième édition se tient du 31 janvier au 9 février dans cette commune du centre du Mali. « Il est important que les touristes continuent de venir. Moi, je n’ai pas loupé une année depuis 2010. Mais depuis quelques années, il y a beaucoup moins de visiteurs étrangers. Ça me fait mal car il n’y a pas de raison d’avoir peur de venir », crie-t-elle, encerclée de chanteuses et de danseuses venues fêter l’arrivée des piroguiers.

Ce sont ces mêmes pirogues et leurs paisibles croisières sur le fleuve Niger qui ont largement contribué à la réputation touristique de Ségou. Mais depuis la crise qui a éclaté au nord du pays en 2012, l’ancienne capitale du royaume bambara a vu les touristes internationaux déserter la région. Depuis 2010, le tourisme y a chuté de 40 %, selon les chiffres de la direction régionale. En 2018, 6 552 arrivées ont été enregistrées. Un chiffre comparable à ceux des années 2013-2014, alors que le Mali était pourtant encore en pleine guerre.

La crainte d’une attaque terroriste

« Le Mali est dans une situation d’insécurité qui progresse vers le centre du pays. C’est pour cela que nous avons pris des dispositions particulières pour sécuriser le festival (…). Du renfort est venu de Bamako », explique Biramou Sissoko, le gouverneur de Ségou, en visitant les stands de la foire d’artisanat du festival.

Le festival sur le Niger est la manifestation culturelle la plus fréquentée du Mali. Quelque 40 000 personnes s’y rendent chaque année pour écouter jouer les grands noms de la musique africaine. Pour cette quinzième édition, les organisateurs ont couplé ce rendez-vous musical incontournable avec Ségou’art, la foire d’art contemporain malienne née en 2016. Malgré ce regroupement, 30 000 visiteurs sont attendus cette année, soit 10 000 de moins que lors de l’édition précédente du traditionnel festival sur le Niger. « Nous avons revu les chiffres à la baisse en raison du contexte du pays et aussi parce que nous avons pour la première fois mis l’art contemporain en avant. Ici, les gens n’y sont pas habitués », souligne Ataher Maïga, le coordinateur du festival.

Avec une quinzaine d’attaques recensées par les Nations unies en 2018, la région de Ségou est à son tour touchée par l’insécurité, à l’instar de celle de Mopti, aussi au centre du Mali. Aucune d’entre elles n’a visé la ville de Ségou, mais la crainte d’une attaque terroriste sur le festival semble avoir dissuadé beaucoup d’Occidentaux de s’y rendre. « Il y a deux ans, il y avait beaucoup de Blancs (…). On gagnait bien, à l’époque du tourisme », regrette Hassana Dicko, avant d’aller rattraper à la volée un client observant les objets d’artisanat disposés à l’entrée de son stand.

Plus que deux ou trois guides

L’art n’est pourtant pas le métier de M. Dicko. Guide touristique à Tombouctou, ce Malien a fui le nord du Mali au moment de la crise pour continuer son activité à Ségou. « Les touristes n’allaient plus là-bas. Donc j’ai déménagé ici. Jusqu’en 2013-2014, je faisais le guide. Les touristes étaient nombreux à visiter le pays dogon. Après, ils ont aussi arrêté de venir à Ségou », se plaint-il.

Comme la plupart des vingt et un guides qui baladaient autrefois les touristes en pays dogon, M. Dicko s’est reconverti dans le commerce. Il ne reste aujourd’hui que deux ou trois guides actifs dans la région. « Ils ne gagnent même pas 5 000 francs CFA [7,60 euros] par mois. Moi, je ne gagne même pas 10 000 francs CFA [15 euros]. C’est très difficile », poursuit-il, lui qui gagnait jusqu’à cinquante fois plus les bons mois quand il était guide.

Du côté des hôteliers, même constat : cette année, les comptes ne seront pas au vert. Assis sur une des tables de L’Esplanade, un des plus gros hôtels-restaurants de Ségou, Marwan Abi Haila, le gérant, fait grise mine. Ce samedi midi, moins d’un tiers des tables est occupé. M. Haila fait habituellement 10 % de son chiffre d’affaires annuel lors du festival sur le Niger. « Cette année, ce ne sera même pas 2 ni 3 % », s’inquiète-t-il.

A quelques mètres du gérant, des militaires occidentaux sont attablés en terrasse. A la table d’à côté, un diplomate français sirote un verre en observant la vue panoramique sur le fleuve. « On ne fait pas le même travail qu’avant la crise. Maintenant, on compte beaucoup sur les séminaires, les ateliers et les missions qui envoient beaucoup de personnel ici », poursuit M. Haila, avant de retourner travailler et de conclure : « Les ONG continuent à venir, mais pas les touristes. »