L’Etat peut-il, doit-il, vendre ses parts du groupe Aéroports de Paris (ADP) ? A cette question sensible, les sénateurs, dans une rare union entre droite et gauche, ont répondu « non » mardi 5 février au soir. Lors de l’examen en première lecture du projet de loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), le Sénat a adopté, par 246 voix contre 78, des amendements de suppression de l’article 44 modifiant le régime juridique d’ADP et ouvrant la voie à sa privatisation. Il s’est également opposé au projet de privatisation de la Française des Jeux (FDJ).

« Aéroports de Paris, c’est une entreprise publique, monopole, qui marche bien, qui fait des bénéfices, qui investit (…). C’est une entreprise stratégique qui fonctionne, gardez-la », a argumenté en séance Roger Karoutchi (Les Républicains), s’adressant au gouvernement.

Le président du groupe socialiste, Patrick Kanner, a, lui, détaillé : « Vous voulez d’abord renflouer les caisses asséchées de l’Etat, mais c’est du “one shot”. Plutôt que de vendre et d’empocher un moindre chèque, nous préconisons de garder publiques, pour continuer d’enregistrer les bénéfices, ces entreprises florissantes. »

Si la droite et la gauche font « le choix ensemble de refuser cette privatisation (…), il faudra entendre la voix du Sénat », a résumé le communiste Fabien Gay.

Concession pour soixante-dix ans

L’Etat est jusqu’ici tenu de conserver la majorité des parts du groupe ADP. Le projet de loi Pacte lui permettrait, s’il était adopté, de procéder à la vente au privé de tout ou partie des actifs qu’il détient dans le groupe aéroportuaire – soit 50,63 % des parts, représentant quelque 9,5 milliards d’euros. La privatisation d’ADP prendrait la forme d’une concession pour soixante-dix ans.

« Cette opération n’est pas une privatisation sèche », a souligné le ministre de l’économie Bruno Le Maire, qui a ironisé sur l’union droite-gauche sur le sujet. Le débat « prouve une chose, a-t-il raillé, c’est que la recomposition politique française nous réserve encore bien des surprises ».

Dans le projet du gouvernement, le produit des cessions d’actifs d’ADP, ainsi qu’une partie de ceux détenus par l’Etat dans la Française des jeux et Engie, doit être investi en obligations d’Etat et rapporter 250 millions d’euros par an qui serviront à financer des projets innovants.

« Est-ce que c’est Vinci qui veut racheter les parts ? »

Dans le débat, les sénateurs ont rappelé le précédent de la vente des autoroutes et accusé le gouvernement de vouloir céder ADP à Vinci. « Après le désastre financier de la privatisation des autoroutes, vous nous proposez de privatiser des actifs hautement sensibles », a ainsi déclaré le socialiste Martial Bourquin. ADP, « c’est la porte de la France sur le monde », « il faut le garder public », a-t-il exhorté, glissant : « Si Vinci n’a pas eu [l’aéroport de] Notre-Dame-des-Landes, ce n’est pas une raison pour lui faire un cadeau. »

« Est-ce que c’est Vinci qui veut racheter les parts ?, a demandé le sénateur Fabien Gay. Vinci va être indemnisé puisque actionnaire minoritaire, puis il y a l’indemnisation pour Notre-Dame-des-Landes. Les parlementaires que nous sommes, les salariés d’ADP ont le droit de savoir si c’est avec l’argent public des indemnisations que l’on va céder les 50 % des aéroports de Paris. »

Le président-directeur général de Vinci a lui-même réagi mercredi matin. S’exprimant à l’occasion de la présentation des résultats annuels du groupe, Xavier Huillard a évoqué un « nouveau délire » : « Chacun y va de son petit couplet et [dit] absolument n’importe quoi. »

Alliés des Républicains dans la majorité sénatoriale, les centristes ont pour leur part voté contre les amendements de suppression de l’article. Ils ont souhaité que leurs collègues sortent d’une « posture politique » pour amender le texte dans le sens d’une plus grande « transparence » et d’une meilleure « régulation ». Bruno Le Maire a quant à lui insisté avant le vote sur le rôle que pouvait avoir le Sénat « dans le renforcement de la régulation », rappelant à plusieurs reprises qu’il était prêt à accepter des amendements dans ce sens.

Le vote du Sénat ne signifie cependant en rien la fin du processus : le dernier mot reviendra à l’Assemblée nationale, qui avait adopté cet article en première lecture.