Theresa May, à Belfast, le 5 février. / CLODAGH KILCOYNE / AFP

Retour à la case départ. Deux ans et demi après le référendum, et cinquante-deux jours avant l’entrée en vigueur du Brexit, Theresa May s’est déplacée en Irlande du Nord, mardi 5 février, pour tenter une nouvelle fois de démêler l’impossible nœud irlandais.

Dans un discours très lucide face à une petite assemblée d’hommes et de femmes d’affaires à Belfast, la première ministre britannique a parfaitement exposé les raisons pour lesquelles il ne devait pas y avoir de retour des contrôles à la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande… sans pour autant proposer de nouvelle solution.

Une fois son discours terminé, Theresa May a cependant testé un début de compromis. Elle ne suggère plus de supprimer le « backstop », ce fameux filet de sécurité qui éviterait le retour d’une frontière « dure », mais simplement de l’amender. « Je ne propose pas de faire accepter un accord qui ne contienne pas ce filet de sécurité. Ce que le Parlement [britannique] a dit est qu’il pense qu’il faut faire des changements. » La première ministre s’est cependant bien gardée de préciser les modifications qu’elle avait en tête.

Course vers le précipice

L’impasse irlandaise est la même depuis deux ans et demi. Les « Brexiters » veulent sortir de l’union douanière européenne. Théoriquement, la douane devrait donc se situer entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Mais installer une telle frontière, avec des contrôles, risquerait de mettre en danger la paix, en place depuis l’accord du Vendredi Saint de 1998. Pour éviter cela, le « backstop » propose de maintenir l’Irlande du Nord de facto dans le marché unique, tant qu’une autre solution ne sera pas trouvée. Mais pour les unionistes, une telle solution est inacceptable : cela reviendrait à installer une frontière entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, mettant à mal l’unité du Royaume-Uni.

A l’heure actuelle, l’opposition des unionistes au « backstop » demeure implacable. Dès le début du compromis esquissé, le DUP (Democratic Unionist Party) est tombé sur Theresa May. « Il serait absurde de revenir devant le Parlement avec quelque chose de similaire [à l’accord actuel] », a averti Sammy Wilson, un de ses députés.

L’accueil risque d’être tout aussi glacial à Bruxelles, où la première ministre britannique est attendue jeudi 7 février. L’Union européenne (UE) a répété à maintes reprises ces dernières semaines que l’accord de retrait n’est pas ouvert à renégociation. « La position de l’UE est claire, a encore déclaré, mardi, le porte-parole de la Commission, Margaritis Schinas. Nous allons écouter une fois encore ce que la première ministre a à nous dire. »

Le risque d’un échec des négociations se profile très sérieusement. Une course vers le précipice est en cours entre les unionistes d’Irlande du Nord et les « Brexiters », d’une part, et l’Irlande et l’UE, d’autre part. C’est à qui s’arrêtera le premier.

Jeu dangereux

Arlene Foster, cheffe du DUP, qui devait rencontrer Theresa May mercredi, attaque « l’intransigeance » de Bruxelles et de Dublin : « Nous voulons que l’Europe accepte de négocier, qu’elle reconnaisse que pour obtenir un accord, il faudra nous entendre sur le “backstop”. [Sinon], ça va mener à un “no deal”. »

A ce jeu dangereux s’ajoute une question cruciale : en cas d’échec des négociations, qui osera installer des contrôles à la frontière ? Les « Brexiters » affirment que jamais Londres n’installera de poste de douane, pour ne pas risquer la fragile paix de l’Irlande du Nord. Et tant pis, disent-ils, pour les risques de contrebande. Après tout, le commerce interne de l’île est largement local et agricole. Ils mettent au défi la République d’Irlande de faire de même.

Ces dernières semaines, Bruxelles a tenté de couper court à cette idée. Margaritis Schinas, a affirmé, le 22 janvier, qu’en cas de « no deal », il y aurait « une frontière dure en Irlande, c’est assez évident ». Mais de son côté, Leo Varadkar, le premier ministre irlandais, ne cache pas son malaise. « Nous ne prévoyons pas de contrôles à la frontière terrestre avec l’Irlande du Nord », a-t-il tenté de rassurer.

Merkel : « Nous devons être créatifs »

Lundi, la chancelière allemande Angela Merkel, en déplacement au Japon, a semblé faire un geste d’apaisement. « Nous voulons tout faire pour éviter un “no deal” (…). Nous devons être créatifs. » En privé, toutefois, la pression européenne, et notamment de Berlin, est encore montée d’un cran sur Leo Varadkar : en cas d’échec des négociations, il faudra qu’il en tire les conséquences.

« L’Irlande n’aura pas le choix, analyse Kevin O’Rourke, économiste irlandais et auteur d’un récent livre sur le Brexit (Une brève histoire du Brexit, éditions Odile Jacob, 2018). Elle va essayer de retarder les contrôles, et cela prendra du temps de mettre en place les arrangements nécessaires, d’autant qu’elle n’a rien préparé. Mais à la fin, des contrôles à la frontière seront nécessaires. » Entre Bruxelles, Dublin, Londres et le DUP, certains bluffent. On devrait savoir lesquels d’ici à quelques semaines.