Netflix, à la demande, série

Il suffit d’aller se laver les mains (restons poli) pour que Netflix en profite pour ajouter un programme à son menu, déjà riche et proliférant. C’est ce qui s’est passé vendredi 1er février avec Russian Doll (« poupée russe »), dont on ne savait rien (et qui nous a procuré une saisissante surprise) sinon qu’on reconnaissait, sur l’écran d’accueil de la plate-forme, le visage de Natasha Lyonne, l’une des actrices de la série Orange Is the New Black.

Sa première apparition marquante s’était faite dans l’hilarante comédie romantique et satirique Tout le monde dit I love you (1996), de Woody Allen. Elle y incarnait déjà une fille au caractère trempé et à l’« instoppable » tchatche – ce qu’elle semble être également dans la vie. Et ce qu’elle est à nouveau dans cette série qu’elle a cocréée et en partie coécrite avec Amy Poehler et Leslye Headland.

Le personnage qu’elle incarne, Nadia Vulvokov – sic ! –, se retrouve, à son corps quelque peu défendant, à la fête d’anniversaire de ses 36 ans que lui organise une amie dans son grand appartement new-yorkais. Après avoir consommé de la cocaïne, elle quitte bientôt la fête en compagnie d’un homme et se fait renverser mortellement par une voiture dans la rue.

Le temps d’un battement de cœur, Nadia se retrouve dans les toilettes de l’endroit où se tient son anniversaire – là même où, au début du pilote, on la voyait se contempler de manière peu ­convaincue dans le miroir au-dessus du lavabo. Au fil de ses trépas répétés, Nadia va se retrouver au même endroit, mais avec chaque fois des modifications légères bien que notables.

Aucun temps mort

Elle va aussi bientôt comprendre que ces phases répétées sont liées à un jeune homme, beau, lisse et énigmatique – Charlie Barnett, vu notamment dans Chicago Fire –, qui subit le même sort. Avec lui, Nadia tente d’élucider les causes de ces décès, qui les font systématiquement se retrouver la veille au soir…

Russian Doll propose un processus moteur assez virtuose qui superpose une narration linéaire et la répétition de boucles aux ellipses savamment variées dans leur évolution. Certes, ce type de narration circulaire, contractée-dilatée, n’est pas inédit au petit et au grand écrans, mais il nous a surtout fait penser au « phasing », une technique qu’a utilisée le compositeur nord-américain minimaliste Steve Reich.

Les auteures ont réussi à extraire des atmosphères de cet inexorable tour d’écrou, qui sont dans le même temps trépidation angoissante et drôlerie gondolante

Et, comme dans certaines de ses compositions, le processus en déphasage progressif de Russian Doll finit par revenir à des lignes parallèles ou confondues, ce que semblent d’ailleurs illustrer les écrans juxtaposés de la fin du ­dernier épisode de cette série qui ne propose aucun temps mort et gagne probablement à être visionnée d’un trait.

Ce processus pourrait n’être qu’un parti pris formel déshumanisé et lassant. Mais, au contraire, les auteures ont réussi à extraire des atmosphères de cet inexorable tour d’écrou, qui sont dans le même temps trépidation angoissante et drôlerie gondolante. « Si je meurs, on se retrouve à la fête… », lance Nadia à son partenaire en résurrections frénétiques avant de s’effondrer sur le trottoir, victime d’une crise cardiaque. On pourra aussi y voir un voyage dans les turbines secouantes de l’inconscient et y lire une allégorie du travail psychanalytique. C’est dire la richesse des possibles de Russian Doll.

Russian Doll: Season 1 | Official Trailer [HD] | Netflix
Durée : 02:21

Russian Doll, série créée par Natasha Lyonne, Amy Poehler et Leslye Headland.Avec Natasha Lyonne, Charlie Barnett, Yul Vazquez, Greta Lee, Elizabeth Ashley, Chloë Sevigny (USA, 2019, 8 × 25 min). www.netflix.com/fr/title/80211627