LES CHOIX DE LA MATINALE

Cette semaine, le cinéma nous offre plusieurs huis clos : des rivalités féminines à la cour britannique (dans La Favorite, de Lanthimos), un couple explosif pour défendre un homme accusé du meurtre de sa femme (dans Une intime conviction, d’Antoine Raimbault), un autre à la dérive dans un ranch mexicain (dans Nuestro Tiempo, de Carlos Reygadas).

« La Favorite » : jeu de dames au palais

LA FAVORITE Bande Annonce (2018) Emma Stone, Rachel Weisz
Durée : 02:24

Yorgos Lanthimos n’a pas pour habitude de faire des ronds de jambe à la société contemporaine. Il a pris soin, dans ses précédents films, d’en révéler avec cruauté et irrévérence les plus mauvais travers. On aurait pu craindre qu’un film historique en costumes vienne amoindrir ce caractère nihiliste et le sens de la dérision dont le cinéaste grec l’accompagne. On sait, après avoir vu La Favorite, qu’il en eût fallu bien plus, à Yorgos Lanthimos, que la cour du Royaume-Uni, au XVIIIe siècle, pour l’intimider et l’assagir. Nul doute, à l’inverse, qu’il ait éprouvé un malin plaisir à repousser les limites du genre et à dynamiter les figures qui ordinairement l’animent, trouvant dans les fastes d’un royaume nouvelle matière à ses impertinences.

Au château de la reine Anne (prodigieusement interprétée par Olivia Colman), dernière héritière de la lignée des Stuart, ce sont les femmes qui se livrent bataille. Des femmes à qui Yorgos Lanthimos ne fait pas de cadeau, les montrant entièrement occupées à satisfaire leurs plaisirs et leurs ambitions. A commencer par la souveraine elle-même, que de violentes crises de goutte mettent à plat, et que n’intéressent guère les affaires du pays. Elle a, pour s’en charger, la duchesse de Marlborough (Rachel Weisz), sa favorite, jusqu’au jour où débarque à la cour la jolie et redoutable Abigail Hill (Emma Stone).

Trahisons, manipulations, empoisonnements… la course se transforme en jeu de massacre. Prenant le parti de dérégler le ballet qu’il orchestre, Yorgos Lanthinos mène l’histoire à la folie, en accentue la férocité, prépare à sa chute. V. Ca.

« La Favorite », film américain, britannique et irlandais de Yorgos Lanthimos. Avec Olivia Colman, Rachel Weisz, Emma Stone (2 heures).

« Une intime conviction » : un couple face à la justice

UNE INTIME CONVICTION Bande Annonce (2019) Judiciaire, Film Français
Durée : 02:16

Passionné par le fonctionnement de la justice, Antoine Raimbault avait déjà réalisé, en 2014, un court-métrage (Vos violences) dans lequel l’avocat Eric Dupond-Moretti jouait précisément le rôle d’un avocat victime d’une agression, dès lors partagé entre sa détermination à confondre un coupable et son respect de la présomption d’innocence.

Pure fiction, ce film annonçait le premier long-métrage du jeune auteur, Une intime conviction, adapté pour le coup d’une véritable affaire, celle de la disparition, en 2000, de Suzanne Viguier, et de l’odyssée judiciaire vécue depuis lors, pendant dix ans, par son mari, Jacques, par ailleurs professeur de droit.

Soupçonné par la justice du meurtre de sa femme, qui s’apprêtait visiblement à demander le divorce et entretenait une relation extraconjugale avec Olivier Durandet, Jacques Viguier est placé en détention provisoire, puis libéré. Un premier procès a lieu en 2009 à Toulouse, au terme duquel, en l’absence de preuves, Jacques Viguier est acquitté.

Le parquet fait pourtant appel, et le 2 mars 2010, un nouveau procès s’ouvre à Albi. C’est ici que commence le film d’Antoine Raimbault, qui se déploie sur deux plans. Film de procès, avec sa dramaturgie propre (témoignages contradictoires, rebondissements…). Film d’enquête et de coulisse, avec l’introduction d’un personnage de fiction en la personne de Nora (Marina Foïs), censée avoir été jurée au premier procès de Jacques Viguier et s’être convaincue de son innocence. C’est elle qui va d’ailleurs convaincre Eric Dupond-Moretti (Olivier Gourmet) de s’engager dans la défense de l’accusé. Leur relation est au cœur du film. Un cœur à la fois romanesque et philosophique. J. M.

« Une intime conviction », film français d’Antoine Raimbault. Avec Marina Foïs, Olivier Gourmet, Laurent Lucas, Jean Benguigui (1 h 50).

« Nuestro Tiempo » : dans l’arène de la désunion

Trailer de Nuestro tiempo (HD)
Durée : 02:14

Dans son précédent film (Post Tenebras Lux, 2012), le Mexicain Carlos Reygadas faisait jouer ses enfants. Cette fois tout le monde y est, à commencer par le réalisateur lui-même et sa compagne, Natalia Lopez. Ils interprètent dans Nuestro Tiempo un couple en crise dans le cadre d’un ranch de l’Etat de Tlaxcala notamment voué à l’élevage de taureaux de combat.

Juan, poète de renommée mondiale, s’y occupe des bêtes, Esther de la gestion. L’environnement, propice au recueillement solitaire, est occupé plus ou moins en permanence par une palanquée d’enfants, de domestiques, de rancheros, d’amis et de relations de passage.

Parmi ces derniers, Esther a porté son dévolu charnel sur Phil, éleveur de chevaux américain sans qualités notables qui a sympathisé avec le couple. Juan regarde évoluer cette relation d’abord inavouée, puis explicite, avec une douloureuse ambivalence.

La compréhension de la situation et le désir d’en sortir par le haut se heurtent à la volonté de reconquête d’un désir moribond. De son côté, Esther, en proie à un sourd « processus personnel » sur lequel elle est en peine de mettre des mots, balance incessamment entre le sauvetage de la cellule familiale et le largage des amarres. La mise en scène de la crise du couple occupe le cœur battant du film. On en appréciera la profondeur et la subtilité dans l’approche de ce « trou noir » qu’est l’opaque protocole de la désunion. J. M.

« Nuestro Tiempo », film mexicain de Carlos Reygadas. Avec Carlos Reygadas, Natalia Lopez, Phil Burgers. (2h58)

« Tout ce qu’il me reste de la révolution » : le grand fossé

TOUT CE QU'IL ME RESTE DE LA RÉVOLUTION - bande annonce
Durée : 01:42

Angèle (Judith Davis) est une jeune militante qui nourrit l’ambition de « changer le monde » et a embrassé pour cela la vocation d’urbaniste. Licenciée de son cabinet par des patrons « de gauche », elle retourne vivre chez son père Simon (Simon Bakhouche), un ancien militant maoïste reconverti dans la cuisine associative.

Avec sa meilleure amie Léonor (Claire Dumas), elle monte un petit groupe de discussions citoyennes, où elle rencontre Saïd (Malik Zidi), un directeur d’école qui tombe amoureux d’elle. Elle renoue avec sa sœur Noutka (Mélanie Bestel), qui mène une vie domestique conformiste. Dans la conscience révoltée d’Angèle, gît enfin quelque part le souvenir douloureux d’une mère perdue de vue depuis l’enfance, Diane (Mireille Perrier), à laquelle elle en veut d’avoir trahi ses idéaux de jeunesse.

Avec son premier long-métrage, l’actrice française Judith Davis accomplit une sorte d’exploit : une comédie populaire enlevée et incarnée, qui ne cède rien à la démagogie et n’évacue pas d’emblée toute ambition esthétique.

Dans le prolongement d’un spectacle de théâtre (Tout ce qui nous reste de la révolution, c’est Simon), que la comédienne avait créé en 2008, le film explore surtout avec humour et intelligence le désarroi politique d’une génération de jeunes adultes, soucieuse à la fois de perpétuer les luttes révolutionnaires des aînés et de se frayer un chemin sur un marché du travail verrouillé. Un sacerdoce qui prend la forme d’un grand écart entre deux générations et, à travers elles, deux moments de la société française, qu’il semble, à cinquante ans de distance, de moins en moins possible de concilier. M. M.

« Tout ce qu’il me reste de la révolution », film français de et avec Judith Davis. Avec Malik Zidi, Claire Dumas, Mélanie Bestel, Nadir Legrand, Simon Bakhouche, Mireille Perrier (1 h 28).

« Dragons 3 » : dernier envol pour les Vikings et leurs dragons

DRAGONS 3 Bande Annonce VF (Animation, 2019) Le Monde Caché
Durée : 02:48

Le temps passe et les héros grandissent. Cinq ans après la sortie de Dragons 2, où il n’était encore qu’un adolescent peu aguerri au combat, voilà donc que nous revient Harold, en passe de devenir un homme, un père et un vrai chef pour sa tribu.

C’est cette ultime transformation de son personnage principal que nous raconte le troisième et dernier volet de la saga d’animation produite par Dreamworks, écrite et réalisée par Dean DeBlois. Dragons 3 - Le Monde caché conduit Harold à s’émanciper de ses doutes et de ses peurs à travers une série d’épreuves qui le rendront plus fort, rassurant ainsi le jeune public sur l’avenir supposé du héros dont il devra se séparer.

Cet angle qui consiste à conduire Harold vers l’âge adulte permet d’apporter un peu plus de psychologie aux personnages (humain ou dragon) qui, soudain confrontés à une palette plus large de sentiments, engagent le film vers plus d’émotion. Il ne le prive cependant pas des grandes envolées spectaculaires qui caractérisent la saga depuis sa création.

Décors somptueux, mouvements de caméra vertigineux, effets de lumière (signés Roger Deakins), explosion de couleurs et soin du détail contribuent, une fois encore, à l’émerveillement que produit ce spectacle en 3D. V. Ca.

« Dragons 3 », film d’animation américain de Dean DeBlois (1 h 34).