Emmanuel Macron  reçoit le rapport annuel de la Cour des Comptes, présidée par Didier Migaud, à l’Elysée le 4 février 2019. / CHRISTOPHE PETIT TESSON / AFP

Editorial du « Monde ». Rituel, le rapport annuel de la Cour des comptes, rendu public mercredi 6 février, n’en est pas moins cruel. Au beau milieu du grand débat national engagé par le président de la République pour tenter de sortir de la crise des « gilets jaunes » et à quatre mois d’élections européennes à haut risque, les magistrats financiers adressent une double mise en garde au gouvernement : d’une part sur la dérive négative des comptes publics, d’autre part sur la solidité des promesses faites en décembre 2018 pour apaiser la fronde sociale.

Même si la Cour enrobe poliment ses critiques pour qu’elles n’apparaissent pas trop cinglantes, ses remarques sont très embarrassantes pour un pouvoir exécutif qui a fait de la sincérité et de la bonne gestion les credo de sa politique budgétaire.

Sans surprise dans un pays qui vit à crédit depuis plus de quarante ans, le premier avertissement porte sur l’équilibre, ou plus exactement le déséquilibre des comptes publics. En effet, le budget pour 2019 prévoyait initialement un déficit public de 2,8 % du produit intérieur brut (après 2,7 % en 2018) et le gouvernement pouvait, en outre, arguer que cette prévision intégrait, cette année, la transformation du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en baisses de charges, soit près de 1 point de PIB.

Prévision « d’une fragilité toute particulière »

Cette prévision, on le sait, est désormais caduque. Du fait des mesures d’urgence annoncées et votées en décembre 2018, à hauteur de 11 milliards d’euros, pour apaiser la crise sociale, le déficit public va repasser la barre des 3 % de PIB que le gouvernement s’était flatté d’avoir enfin respectée l’an dernier. Pour l’heure, officiellement, l’on table sur un déficit de 3,2 %.

Mais la Cour des comptes est très dubitative et juge cette prévision « d’une fragilité toute particulière ». Elle suppose, en effet, que la croissance économique ne faiblira pas, alors que tous les indicateurs, en France comme en Europe, semblent indiquer le contraire.

Elle suppose, en outre, que les baisses significatives de recettes fiscales, voulues par le gouvernement, soient compensées par une réduction équivalente des dépenses publiques, ce qui est loin d’être le cas. Au total, alors que l’endettement public baisse fortement en Allemagne et a amorcé sa décrue depuis 2015 dans la zone euro, il continue à augmenter en France. Cela fragilise singulièrement les plaidoyers européens d’Emmanuel Macron et les leçons de volontarisme qu’il adresse volontiers à ses partenaires.

Des promesses d’économie « non documentées »

Le second avertissement porte spécifiquement sur les mesures d’urgence adoptées à la fin de 2018 (élargissement de la prime d’activité, défiscalisation des heures supplémentaires, annulation de la hausse de la CSG pour une partie des retraités, etc.). La Cour des comptes pointe sans ménagement le fait que ces dépenses nouvelles ou ces manques à gagner fiscaux sont compensés par des promesses d’économies budgétaires qui « sont annoncées mais non documentées ». Et qu’elles supposeraient, à tout le moins, une loi de finances rectificative.

Sans aller jusqu’à parler d’insincérité, les magistrats financiers jettent donc un sérieux doute soit sur la capacité du gouvernement à tenir ses engagements, soit sur sa capacité à le faire sans aggraver encore davantage la dérive des comptes publics. Au moment où le président de la République se démène pour tenter de rétablir un tant soit peu de confiance dans le pays, le message ne manquera pas de jeter le trouble.