La tour EDF à la Défense, près de Paris, en février 2014. / ERIC PIERMONT / AFP

Peut-on être à la fois exploitant de centrales nuclé­aires et changer des carreaux de salles de bains ? C’est le pari d’EDF qui lançait, jeudi 7 février, une plate-forme appelée « IZI by EDF », sur laquelle les particuliers ou les professionnels pourront faire réaliser petits et grands travaux par des artisans sélectionnés par l’électricien.

Ce service sera d’abord déployé dans neuf grandes agglomérations, avant de s’étendre progressivement sur le territoire. Il s’appuie sur la plate-forme mise en place par une start-up, Hellocasa, discrètement rachetée par EDF en septembre 2018. IZI espère dégager un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros à l’horizon 2022. Un objectif minime au regard de celui d’EDF (69 milliards d’euros en 2017).

Cela représente un virage stratégique étonnant de la part d’une entreprise qui s’extrait du secteur de l’énergie pour la première fois. « C’est une nouvelle page qui se tourne pour EDF. Nous partons à la conquête d’un nouveau marché, celui des services de proximité », explique Fabrice Gourdellier, directeur du marché des particuliers.

Concrètement, les clients pourront sélectionner sur le site IZI le type de prestations qu’ils veulent faire réaliser. Dans le cas de petits travaux, comme la peinture, la pose de carrelage ou le montage d’un meuble, le type de service et les jours d’intervention, ainsi que le paiement, se font directement sur le site. IZI assure proposer plus de 300 forfaits.

Identifier de nouveaux leviers de croissance

« Pour des travaux de rénovation plus poussés, quelqu’un viendra faire un devis et il faudra verser un acompte, de manière plus classique », détaille M. Gourdellier. Le site propose également des contrats d’entretien pour des chaudières ou de la télésurveillance. A terme, les clients auront la possibilité de faire installer des équipements, tels que des caméras de surveillance ou des pompes à chaleur.

Cette nouvelle activité commerciale répond à la volonté de la direction de l’entreprise de faire face à la chute continue du nombre de ses clients particuliers

Les travaux sont vendus par EDF, mais effectués par des artisans et des professionnels du bâtiment indépendants du groupe détenu par l’Etat à 83 %. « L’idée n’est pas de faire travailler des particuliers, comme le proposent certaines plates-formes », souligne Eric Plantive, directeur d’IZI, qui précise qu’un millier de professionnels font déjà partie de ce réseau.

EDF va leur proposer un contrat de prestation de services, avec une série de critères de qualité. Parmi eux figurent un engagement « bien fait ou refait », détaille M. Plantive, et une promesse d’intervenir très rapidement, « le plus souvent dans les 48 heures ». Pour la première fois, les travaux ne seront pas menés par des agents EDF.

Cette nouvelle activité commerciale répond à la volonté de la direction de l’entreprise de faire face à la chute continue du nombre de ses clients particuliers. ­Depuis deux ans, le groupe en perd en moyenne 100 000 par mois, qui basculent sur des offres de ses concurrents, soit chez des grands groupes (Engie, Total-Direct-Energie) ou des nouveaux acteurs orientés vers les énergies renouvelables (Enercoop, ekWateur, etc.).

EDF domine toujours le marché de l’électricité avec plus de 80 % des ménages, mais doit absolument identifier de nouveaux leviers de croissance. « On part du constat que le marché connaît de profonds changements, que la concurrence s’accroît, qu’il y a des besoins nouveaux, d’autres modes de consommation. C’est une ­nouvelle approche stratégique », relève Fabrice Gourdellier.

Signe que le sujet est d’importance pour EDF, c’est Jean-Bernard Lévy, son PDG, qui devait annoncer le lancement de cette nouvelle plate-forme. Il faut dire que l’entreprise se trouve dans une situation financière difficile, comme l’a rappelé la Cour des comptes dans un rapport publié mercredi.

Bloqué par un cadre juridique contraint

EDF a vu son excédent brut d’exploitation chuter de 22 % entre 2015 et 2017, alors que sa dette s’élève à 33 milliards d’euros et que sa trésorerie demeure dans le rouge. La remontée des prix de gros de l’électricité devrait permettre à l’entreprise de souffler temporairement. Cependant, les besoins d’investissements dans le parc nucléaire pèsent sur l’avenir du groupe.

La perte progressive de ses clients particuliers – qui accompagne, celle, encore plus engagée, de ses clients professionnels – pousse EDF à aller en chercher dans d’autres domaines. D’autant que le groupe est bloqué par un cadre juridique contraint, qu’il a pourtant lui-même défendu.

La quasi-totalité de ses clients disposent de contrats aux tarifs réglementés de vente (TRV), décidés par l’Etat. Or la réglementation interdit à EDF de proposer ces nouveaux services en priorité à ses propres abonnés, sous peine de se voir accusé de distorsion de concurrence…

Sur ce nouveau terrain de jeu, EDF est éloigné de sa traditionnelle position historique de domination du marché. Le groupe trouvera un concurrent familier sur sa route. Engie (ex-GDF Suez), premier rival d’EDF pour la fourniture d’électricité aux particuliers, a déjà lancé en septembre 2017 une plate-forme appelée MesDepanneurs.fr, qui propose certains services similaires.