Un « meurtre (…) planifié et perpétré par des représentants de l’Etat d’Arabie saoudite ». C’est la conclusion, jeudi 7 février, d’Agnès Callamard, rapporteuse spéciale de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires concernant la mort le 2 octobre 2018 du journaliste Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul, en Turquie.

Dans un communiqué, Mme Callamard, de retour d’une mission en Turquie pour faire la lumière sur cette affaire, a souligné que, selon « les preuves recueillies », ce meurtre était prémédité et constituait « la violation la plus grave du droit le plus fondamental de tous, le droit à la vie ». Elle a également dénoncé l’utilisation de l’immunité diplomatique pour commettre un meurtre en toute impunité.

Plus de quatre mois après sa mort, le corps de l’éditorialiste saoudien, qui écrivait notamment pour le Washington Post, n’a toujours pas été retrouvé. Son assassinat a plongé l’Arabie saoudite dans une grave crise diplomatique et a nettement terni la réputation du prince héritier Mohammed Ben Salmane, qui est accusé par des responsables américains et turcs d’avoir commandité le meurtre.

Versions contradictoires

Après avoir affirmé dans un premier temps que le journaliste avait quitté vivant le consulat, Riyad a fini par reconnaître, sous la pression internationale, qu’il avait été tué et démembré à l’intérieur de la représentation diplomatique.

Selon le récit des événements des autorités saoudiennes, le général Al-Assiri, ancien chef adjoint du renseignement saoudien, a ordonné à une équipe de quinze agents saoudiens de ramener « de gré ou de force » Khashoggi en Arabie saoudite. Une fois sur place, il aurait décidé de tuer le journaliste. Riyad assure, en effet, que le journaliste a été tué lors d’une « opération hors de contrôle » de l’Etat, supervisée par deux hauts responsables, destitués depuis. Le procès de 11 suspects s’est ouvert début janvier en Arabie saoudite et le procureur général a requis la peine de mort contre cinq d’entre eux.

Rapport final en mai

De son côté, Ankara a plusieurs fois souligné la nécessité d’une enquête internationale sur cette affaire, déplorant le manque de transparence de l’enquête saoudienne. Dans le communiqué, Mme Callamard estime en effet que le meurtre de M. Khashoggi « violait à la fois le droit international et les règles fondamentales des relations internationales, y compris les exigences relatives à l’utilisation légale des missions diplomatiques » :

« Les garanties d’immunité n’ont jamais eu pour but de rendre possible qu’un crime soit commis et d’exonérer ses auteurs de leur responsabilité pénale. »

Son rapport final doit être présenté en juin devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève, mais il devrait être publié quelques semaines auparavant, fin mai. Dans le rapport, elle présentera une série de recommandations, qui ne sont toutefois pas contraignantes pour les Etats.

Au cours de sa mission, Mme Callamard s’est notamment entretenue avec le procureur de la République à Istanbul et avec le chef des services secrets turcs, et a été reçue par les ministres turcs des affaires étrangères et de la justice. Le communiqué n’indique pas si elle a pu avoir accès au consulat saoudien à Istanbul, comme elle l’avait demandé.

Son équipe a en revanche pu avoir accès à des « informations cruciales » sur le meurtre du journaliste, notamment des extraits d’un enregistrement audio « effrayant » qui se trouve entre les mains des services secrets turcs. Mme Callamard a toutefois précisé que son équipe n’avait pas été en mesure d’effectuer un « examen approfondi » de ce matériel et qu’elle n’avait pas eu l’occasion d’authentifier l’enregistrement audio de manière indépendante.