HEC, à Jouy-en-Josas (Yvelines), est l’une des meilleures écoles de commerce et la plus demandée. / Olivier Ouadah/HEC via Campus

Des clubs de jeunes gens de bonne famille, qui deviendront cadres supérieurs ou chefs d’entreprise comme « papa » ? A la lecture des statistiques du ministère de l’enseignement supérieur, on se dit que le cliché de l’étudiant en école de commerce n’est pas infondé.

A la rentrée 2017, plus de la moitié des élèves étaient des enfants de cadres et/ou de professions intellectuelles supérieures (contre 13% dans la population française, et 35 % parmi l’ensemble des étudiants de France). Inversement, ceux d’employés ou d’ouvriers (12 %) étaient deux fois moins nombreux dans ces écoles que dans la population française.

Frais de scolarité élevés

Comment l’expliquer ? Essentiellement par les frais de scolarité élevés, qui oscillent entre 20 000 euros et près de 50 000 euros, selon les écoles, pour trois ou cinq ans de scolarité, et peuvent décourager certains étudiants de se lancer. « Quant au filtre du concours, il va favoriser les élèves aisés, ayant le capital culturel suffisant pour réussir à l’école, souligne la sociologue Marianne Blanchard. Les établissements les plus chers étant aussi les plus sélectifs, ces deux effets se combinent. »

Un phénomène particulièrement visible dans les business schools du « top 5 » (HEC, Essec, ESCP, EM Lyon, Edhec), qui recrutent massivement dans la crème des classes préparatoires commerciales. A la rentrée 2018, 87 % des étudiants reçus en première année à HEC étaient des bacheliers avec mention « très bien ».

En 2018, à elles seules, cinq prépas ont rempli un tiers de la promo de HEC.

Des étudiants entraînés sur les bancs de quelques prépas qui « trustent » la majorité des places dans les meilleures écoles, et en particulier à HEC, la plus demandée. En 2018, 37 des 380 reçus à HEC (voies économiques et scientifiques confondues) étaient issus de Henri-IV, 30 de Sainte-Geneviève (Versailles), 20 de Madeleine-Daniélou (Rueil-Malmaison), 20 d’Intégrale, et 19 d’Ipesup, selon les données recueillies par le magazine L’Etudiant. A elles seules, ces cinq institutions ont rempli un tiers de la promo de l’école de Jouy-en-Josas (Yvelines) cette année. En 2014, ces mêmes prépas ne fournissaient qu’un quart de la promo de HEC. Pire : le « Top 10 » des prépas HEC fournissent 57% de la promotion 2018 de l’école de Jouy-en-Josas. Le recrutement reste donc très concentré dans une poignée d’établissements, eux même situés à Paris ou à Versailles. A côté, en 2018, une quarantaine de prépas HEC sur la centaine qui sont réparties partout en France, de Nîmes au Havre en passant par Reims, n’ont fait admettre personne dans cette écurie de cadres sup’ des entreprises du CAC 40.

Mais ce tableau mérite d’être nuancé. Si les prépas d’élite, très marquées socialement, sont les voies royales d’accès aux meilleures écoles, les autres classes préparatoires accueillent des publics plus mélangés. Et in fine, il y a presque autant de places dans les écoles de commerce que de préparationnaires.

Des écoles « postbac » plus ouvertes ?

Par ailleurs, la prépa n’est plus la seule porte d’entrée. Parmi les trente-neuf grandes écoles de management qui délivrent un diplôme de master, quatorze sont accessibles dès le bac. En forte expansion, ces formations en cinq ans ont gagné en respectabilité. La plupart de ces écoles « postbac » attirent des profils moins scolaires. Et, comme le montrent les très forts écarts affichés en matière de taux de boursiers Crous, elles possèdent, selon les territoires, une population assez variée.

Désormais proposée par 75 % des écoles, l’« admission parallèle » est le moyen le plus efficace de faire progresser l’ouverture sociale.

Dans un contexte de forte concurrence et afin d’œuvrer pour l’égalité des chances, toutes les business schools se sont ouvertes à de nouveaux publics : l’arrivée d’élèves de la filière technologique, d’origine sociale plus populaire, « a contribué dans certains endroits à faire progresser l’ouverture sociale », assure le patron de l’EM Normandie, Jean-Guy Bernard.

Tout comme l’intégration d’élèves, par des procédures d’« admissions parallèles », qui profitent chaque année à des milliers de diplômés d’un BTS (brevet de technicien supérieur), d’un DUT (diplôme universitaire de technologie) ou d’une licence, qui proviennent d’origines sociales plus diverses que les étudiants de prépa. « D’abord perçues comme un complément de recrutement, ces admissions parallèles sont aujourd’hui le principal vivier pour la plupart des grandes écoles de commerce », observe Jean-Guy Bernard, qui préside aussi la procédure d’admissions parallèles Passerelle. Un moyen d’obtenir un diplôme de grande école pour des enfants issus de milieux modestes sans trop dépenser, dès lors qu’ils peuvent réaliser leur cursus en apprentissage – de quoi être dispensé des frais de scolarité tout en étant payé. A l’EM Normandie, ces profils sont plus nombreux dans cette filière. Désormais proposée par 75 % des écoles, c’est, selon les experts, le moyen le plus efficace de faire progresser l’ouverture sociale.

Des bourses et du tutorat

Bourses, exonérations de frais de scolarité, prêts sur l’honneur… Depuis dix ans, les écoles ont aussi multiplié les aides aux plus modestes, au point qu’aujourd’hui « on peut faire l’Essec pour zéro euro », selon Chantal Dardelet, directrice du Centre égalité des chances de l’école. Après seize ans d’efforts, l’Essec atteint 12 % de boursiers Crous en première année. Grâce à 1,5 million d’euros d’aides par an et d’accompagnement, HEC est, quant à elle, passée en une quinzaine d’années de 5 % à 15 % de boursiers Crous.

Reste que l’effet de ces différents programmes estampillés « égalité des chances » (stages de préparation, tutorat, aides financières, etc.) ne semble pas suffisant. En 2016, le ministère comptabilisait 14 % de boursiers Crous dans les écoles de commerce, tous niveaux confondus – contre près de 38 % dans l’enseignement supérieur. « Les dispositifs existants pour favoriser l’ouverture sociale tentent d’agir sur la motivation des étudiants, comme si l’autocensure était la seule cause. Cela marcherait si nous étions dans une école méritocratique, mais elle est au contraire de plus en plus ségréguée, en particulier à partir du collège… », regrette Marianne Blanchard. Pour la sociologue, « tant que les écoles ne reverront pas leurs modes de sélection en créant des concours différenciés, rien ne bougera ».

Source : données des écoles, des établissements et du classement de L’Etudiant