Le président du conseil italien Giuseppe Conte, center, entouré de ses deux vice-président Luigi Di Maio (à gauche) et Matteo Salvini, à Rome, le 17 janvier. / Riccardo Antimiani / AP

Editorial du « Monde ». Sur fond de relations bilatérales dégradées, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, serait-on tenté de dire. Mais la visite en catimini du vice-premier ministre italien Luigi Di Maio, en France, mardi 5 février, et la publicité qu’il a accordée à sa rencontre avec des représentants extrémistes des « gilets jaunes » en font bien plus qu’une goutte d’eau. Une ligne rouge politique et diplomatique a bien été franchie.

Cette ligne rouge, c’est celle de l’ingérence active dans la politique intérieure d’un pays. Jusque-là, les tensions entre Paris et Rome, particulièrement vives depuis l’arrivée de la coalition nationaliste et antisystème entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles (M5S) au pouvoir en Italie, s’étaient limitées soit à des invectives entre leurs dirigeants et le président Emmanuel Macron, soit à des différends sur le fond, que l’on s’efforçait de régler au niveau intergouvernemental.

Mais le voyage de M. Di Maio, qui est aussi le chef du M5S, à Montargis, sans que ni les autorités françaises ni même son ambassade à Paris en soient averties, se situe à un autre niveau. Imaginerait-on le premier ministre français, Edouard Philippe, ou le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, aller rencontrer d’anciens brigadistes à Pérouse sans en informer les autorités italiennes puis vanter leurs mérites sur Facebook ? Même lorsque, à l’époque de la guerre froide, les dirigeants occidentaux rencontraient des dissidents, en marge de visites officielles dans les pays communistes, ils le faisaient ouvertement et, en général, dans l’enceinte de leur ambassade.

Un affrontement politique profond

Le gouvernement français était donc fondé à rappeler à la coalition italienne les règles de bon voisinage. La vigueur de sa réaction a pu surprendre, puisque le rappel d’un ambassadeur de France en Italie est sans précédent depuis 1940, mais, dans l’échelle diplomatique, cette réaction est proportionnée.

Il reste que cette escalade entre deux Etats membres fondateurs de l’Union européenne est également sans précédent et révélatrice de l’affrontement politique profond qui mine l’Europe depuis plus de trois ans. On peut avancer que l’affrontement politique participe de l’essence même de la démocratie et que l’espace européen devrait pouvoir s’en accommoder : c’est d’ailleurs l’objet de la campagne pour les élections au Parlement européen du 26 mai. Mais cet affrontement doit se dérouler dans le cadre des règles établies au sein de l’UE.

M. Di Maio semble d’ailleurs en convenir, a posteriori, dans la lettre qu’il a adressée au Monde et que nous publions : il prend soin d’y rappeler l’importance du « rapport historique d’amitié qui unit nos deux peuples et nos deux Etats » et de « réaffirmer la volonté de collaboration de l’exécutif » italien.

Le chef du M5S est, en réalité, pris au piège de ses propres contradictions. Contradictions de sa coalition gouvernementale, d’abord, fragilisée par sa rivalité avec le chef de la Ligue, Matteo Salvini, vice-premier ministre comme lui : à M. Salvini qui veut unir les extrêmes droites européennes, M. Di Maio riposte en cherchant à unir les antiélites, ce qui l’a amené à courtiser les « gilets jaunes ».

Contradictions de méthode, ensuite : il est plus facile de bousculer les règles lorsqu’on est chef d’un mouvement que lorsqu’on est membre d’un gouvernement dans l’UE. La virée transalpine de Luigi Di Maio aurait pu faire diversion à l’annonce récente de la récession de l’économie italienne. Elle s’est retournée contre lui.