« Ezinor », de Victor Vasarely, peint en 1949-1953, vendu 187 500 € chez Sotheby’s, le 18 octobre 2018. / WESTIMAGE / ART DIGITAL STUDIO

Marcel Duchamp était catégorique : « Le op ne tiendra pas, parce que les collectionneurs ne peuvent profiter de leurs tableaux ; ils sont obligés de tourner les toiles vers le mur pour échapper au mal de mer. » Cependant, l’artiste a beau avoir anticipé (et précipité) quelques-uns des grands bouleversements esthétiques du XXe siècle, il s’est trompé en prédisant la fin du op art (l’art optique), ce mouvement lancé dans les années 1960 par Victor Vasarely, auquel le Centre Pompidou rend hommage du 6 février au 6 mai. Après une longue traversée du désert, l’artiste hongrois, décédé en 1997, connaît un retour en grâce posthume.

Arrivé à Paris en 1930 à l’âge de 24 ans, Vasarely a une idée en tête : bouleverser notre rétine. Il ne jure que par le mouvement. Il n’est pas le seul. Les artistes Naum Gabo et Antoine Pevsner l’évoquaient déjà dans leur « Manifeste réaliste » en 1920. Entre 1922 et 1930, Laszlo Moholy-Nagy avait créé une machine à base rotative produisant des changements de lumière. Dans les années 1930, Calder songeait déjà à ses premiers mobiles. Vasarely veut produire l’illusion d’une troisième dimension en jouant sur des formes-couleurs contrastées. Limité au noir et blanc dans les années 1950, son vocabulaire s’ouvre dans les décennies suivantes aux couleurs, de plus en plus fluo. Parallèlement, l’artiste, qui rêve de toucher le plus grand nombre, multiplie les projets dans l’espace public.

Sur le marché, Vasarely a connu une grandeur et une décadence proches de celles de Salvador Dali, avec lequel il partageait d’ailleurs une égale popularité. Dans les années 1960-1980, il est partout. La mode, le graphisme, la grande consommation se sont laissé gagner par le op art. L’artiste vaut alors cher, très cher. Et sa petite entreprise de graphisme publicitaire tourne à plein régime : avec son fils Yvaral il réalise la façade de RTL, le logo de Renault. Avant de connaître un trou noir : dans les années 1980, ses jeux optiques paraissent soudain dépassés, ringards.

Une chute 75 % du prix de ses œuvres entre 1990 et 1995

La crise des années 1990 porte un coup fatal aux prix de ses œuvres, qui, selon la base de données Artprice, chutent de 75 % entre 1990 et 1995. Adjugé chez Christie’s pour 10 295 dollars en novembre 1991, le tableau Axo 9 ne vaut plus que 6 500 dollars lorsqu’il repasse en vente six mois plus tard. « Il avait couvert la planète entière et il y a eu un sentiment de trop-plein, analyse la galeriste parisienne Diane Lahumière. Il avait tellement abreuvé le marché de multiples que personne ne voulait plus le voir en peinture. » Les déboires juridiques de la Fondation Vasarely, à Aix-en-Provence, et la bataille d’héritage qui se livre encore entre le petit-fils de l’artiste, Pierre Vasarely, et sa belle-mère, Michèle Taburno-Vasarely, n’arrangent pas les choses. En 2013, la vente d’un ensemble de 21 œuvres du plasticien proposé par l’avocat de Michèle Taburno-Vasarely, Yann Streiff, est annulée in extremis à la demande de Pierre Vasarely.

Entre science et fiction, l’œuvre de Victor Vasarely s’expose à Paris

Les galeries Denise René et Lahumière persistent toutefois à le montrer. « C’est une œuvre majeure du XXe siècle, qui a continué à exister malgré les revers », insiste Diane Lahumière, tout en admettant que « le marché a été difficile à redresser ». Un retournement s’opère au début des années 2000. Les artistes qui ont affolé nos pupilles connaissent un revival, à la faveur d’une nouvelle génération de collectionneurs mais aussi de jeunes artistes fascinés par l’art cinétique. Selon Artprice, entre 2002 et 2007, les prix de Vasarely ont été multipliés par neuf. Mais, depuis 2010, aucune œuvre n’a franchi la barre des 600 000 dollars. « Il reste sous-coté au vu de son importance historique », admet Emmanuel Van de Putte, directeur de Sotheby’s à Bruxelles. Martin Guesnet, directeur Europe d’Artcurial, confirme : « Un artiste qui a, comme lui, changé la face de l’art devrait valoir des millions. »

Un artiste trop prolifique

Sauf que Vasarely a été trop prolifique. Aussi les amateurs se montrent-ils sélectifs. La prime va aux tableaux des années 1940-1950, plus rares que les ondulations des décennies suivantes. Aux enchères, les invendus s’expliquent par l’état pas toujours optimal des œuvres. Car la matière picturale très fine s’est parfois dégradée au fil des ans. « Les œuvres optiques souffrent mal les restaurations car elles provoquent parfois une perturbation dans leur lecture », précise Etienne Sallon, spécialiste chez Christie’s. Les collectionneurs hésitent aussi devant les œuvres comportant une double datation. Vasarely a en effet refait des toiles dans les années 1970 sur la base des motifs anciens qui ont eu du succès. « La différence peut être du simple au double entre les pièces qui n’ont qu’une date et celles qui en comportent deux », remarque Diane Lahumière.

Reste à voir l’impact à terme de la rétrospective au Centre Pompidou, la première du genre en France. « Soyons prudents, une exposition seule ne changera pas les choses, relativise Martin Guesnet. Tout dépend plutôt de la grosse galerie qui acceptera de prendre la succession en charge. »

« Vasarely, le partage des formes », 6 février-6 mai, Centre Pompidou, www.centrepompidou.fr