Lors de la conférence du Groupe international de contact, à Montevideo, le 7 février 2019. / VICENTE MANUEL TORT / AFP

A contre-courant de la plupart des pays d’Amérique latine, qui ont reconnu le président autoproclamé par intérim du Venezuela, Juan Guaido, le Mexique a opté, conjointement avec l’Uruguay, pour une position neutre entre le pouvoir vénézuélien et l’opposition. « Nous ne prenons pas parti afin de promouvoir un dialogue propice à une solution pacifique et démocratique », répète Marcelo Ebrard, ministre des affaires étrangères.

Le président Andrés Manuel Lopez Obrador considère en effet la crise au Venezuela comme une question de politique intérieure, selon le principe de non-ingérence. Mexico a d’ailleurs maintenu ses relations diplomatiques avec le gouvernement Maduro, prônant la négociation comme « unique voie pour sortir de crise ».

Mercredi 6 février, le Mexique, l’Uruguay et les pays de la Communauté des Caraïbes avaient publié un communiqué présentant un plan pour le Venezuela. Baptisé « mécanisme de Montevideo », ce dernier n’exige pas la tenue d’une élection présidentielle anticipée, comme le réclament l’opposition vénézuélienne et de nombreux pays. « Si nous exigeons des élections à tel moment, nous imposons des conditions qui rendent difficile le dialogue. Ce sont eux [le gouvernement et l’opposition au Venezuela] qui doivent se mettre d’accord », a déclaré le ministre uruguayen des affaires étrangères, Rodolfo Nin Novo.

Le « mécanisme de Montevideo » prévoit quatre phases : « dialogue immédiat », « négociation », « engagements » et « mise en œuvre » avec un accompagnement international. « Cela repose sur la bonne foi. Nous n’intervenons pas sinon par le dialogue, la négociation, la communication et la volonté de contribuer », a déclaré, mercredi 6 février, M. Ebrard.

Appel « à une élection présidentielle transparente »

Ce plan a ensuite été présenté jeudi à Montevideo, où se tenait une conférence du Groupe international de contact (GIC) sur le Venezuela. Lancé le 31 janvier, le GIC réunit l’Union européenne (UE), huit pays européens (Allemagne, Espagne, France, Italie, Portugal, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède) et quatre d’Amérique latine (Uruguay, Bolivie, Costa Rica et Equateur). Dans une déclaration finale signée par tous les pays participants à l’exception de la Bolivie et du Mexique, le GIC a appelé jeudi soir « à une élection présidentielle libre, transparente et crédible ».

S’il a participé à la conférence de jeudi, le Mexique n’a pas pour autant rejoint le GIC. Cette posture représente un virage radical pour le Mexique en termes de politique extérieure, basé sur la « doctrine Estrada ». Ce texte élaboré par Genaro Estrada, ancien ministre des affaires étrangères (1930-1932), fixe les principes de « non-intervention », d’« autodétermination des peuples », de « solution pacifique des conflits » et de « défense des droits humains ». Cette doctrine, inscrite dans la Constitution en 1988, avait été délaissée depuis dix-huit ans par les prédécesseurs de M. Lopez Obrador, dont Enrique Peña Nieto (2012-2018), qui était très critique envers M. Maduro.

Le 4 janvier, Mexico a refusé de signer la déclaration du Groupe de Lima – un organisme créé en 2017 et composé par 14 pays américains –, qui ne reconnaît pas la « légitimité » du nouveau mandat présidentiel de M. Maduro, appelant à de nouvelles élections.

Un mois plus tard, le 4 février, Mexico n’a pas participé non plus à la dernière réunion du Groupe de Lima à Ottawa, au Canada. « Nous voulons instaurer une relation d’amitié avec tous les peuples, a justifié le président mexicain, entré en fonctions le 1er décembre 2018. Cela peut déplaire à certains. Mais c’est ce que dicte notre Constitution. »

La posture singulière du président de gauche, annoncée le 24 janvier, suscite la polémique au Mexique. Certains observateurs saluent une position « réfléchie » et « constructive ». En tête, le quotidien de gauche La Jornada, qui s’est félicité dans un éditorial, publié le 25 janvier, d’« une stratégie qui évite la confrontation et frustre les plans de polarisation de la puissance du Nord », en référence aux Etats-Unis. D’autres ne partagent pas cet avis. Le 25 janvier, l’éditorial du quotidien conservateur El Universal accusait le gouvernement de « se mettre du côté de Maduro (…), pourtant considéré comme un dictateur ». Le président vénézuélien a d’ailleurs accepté la proposition de dialogue du Mexique et de l’Uruguay.

« Eviter une escalade de la violence »

Fin janvier, Jorge Castañeda, ancien ministre mexicain des affaires étrangères (2000-2003), a dénoncé sur son compte Twitter « la honteuse posture mexicaine (…) qui est un énorme retour en arrière et peut convertir le Mexique en complice des pires pratiques de l’hémisphère ».

Dans la foulée, M. Lopez Obrador répliquait que « la priorité du Mexique est d’éviter, par le dialogue, une escalade de la violence ». Sa posture lui offre aussi l’opportunité de se démarquer du président américain, Donald Trump, alors que M. Peña Nieto avait été critiqué pour sa faiblesse envers le puissant voisin du Nord.

La position de neutralité de l’Uruguay s’explique aussi en partie par le fait que ce petit pays de 3,5 millions d’habitants a toujours cherché à prendre ses distances de ses deux grands voisins, l’Argentine et le Brésil, mais aussi des Etats-Unis. Résistant à la vague néolibérale qui a déferlé sur la région, c’est une coalition de centre-gauche, le Front élargi, qui est au pouvoir à Montevideo depuis 2004.

Le gouvernement uruguayen est toutefois affaibli par des divisions internes au sein du Front élargi, dont un secteur, tout comme les partis d’opposition de droite, réclament une position « plus ferme » vis-à-vis de Caracas. A l’opposé, l’ancien président et ex-guérillero José Mujica (2010-2015) estime « indispensable de promouvoir le dialogue et non pas l’isolement du Venezuela », revendiquant « l’autodétermination, la non-ingérence et la souveraineté du peuple vénézuélien ».

A Montevideo, El Pais, le principal quotidien d’Uruguay, a publié le 6 février une interview de Juan Guaido, dans laquelle celui-ci se montre « étonné et déçu » de la position de l’Uruguay. Il regrette que « l’Uruguay n’ait pas condamné le coup d’Etat de Maduro ».

Depuis Caracas, le président du Parlement vénézuélien qui s’est autoproclamé président par intérim a également accusé Nicolas Maduro, le 4 février, d’avoir tenté de transférer 1,2 milliard de dollars (1 milliard d’euros) vers l’Uruguay depuis la Banque de développement du Venezuela, qui possède plusieurs succursales en Uruguay. « J’appelle l’Uruguay à ne pas se prêter à ce hold-up », a déclaré M. Guaido. Un transfert qui, selon l’opposition vénézuélienne, a finalement été bloqué par la Banque centrale uruguayenne.

Dans le reste du continent américain, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, l’Equateur, le Guatemala, le Honduras, Panama, le Paraguay et le Pérou ont reconnu Juan Guaido. Cuba et la Bolivie soutiennent Nicolas Maduro depuis le début de la crise.