Editorial du « Monde ». Les Iraniens célèbrent sombrement, lundi 11 février, les quarante ans de la révolution de 1979. La théocratie portée au pouvoir par ce soulèvement populaire, qui avait renversé une monarchie modernisatrice, pro-occidentale et répressive, n’a pas tenu ses promesses. La prise d’otages à l’ambassade des Etats-Unis, entre novembre 1979 et janvier 1981, a traumatisé les Américains et plongé l’Iran dans un isolement international qui dure encore.

Malgré la pression des mollahs et de l’Etat, une modernité iranienne s’est imposée au fil du temps dans cette société jeune, riche et plurielle, avide d’ouverture dans le pays et sur le monde. Mais les institutions élues et non élues de la République islamique se sont grippées : plus rien ne se décide. Le changement est douloureux, presque impossible. Le pays rouille. Son économie s’abîme dans une crise profonde.

Cet immobilisme a au moins un avantage : Téhéran n’a pas renoncé à respecter l’accord international sur son programme nucléaire, signé en juillet 2015 à Vienne, après douze ans de négociations. Le retrait unilatéral des Etats-Unis, en mai 2018, et le retour des sanctions américaines ont dissuadé presque tout investissement occidental. L’Iran affirme n’avoir tiré aucun bénéfice de l’accord, mais il ne veut pas faire le jeu de l’administration Trump, au sein de laquelle prévalent les partisans d’un changement de régime à Téhéran.

Américains et Européens divisés

L’Iran prend son mal en patience. Il espère enfoncer un coin entre les Etats-Unis et leurs alliés européens, qui demeurent attachés à l’accord nucléaire. Fin janvier, pour tenter de rompre l’isolement quasi total du pays au sein du système bancaire international, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont officialisé la mise en place d’un modeste mécanisme, qui doit permettre de poursuivre un minimum de commerce avec l’Iran, en échappant aux sanctions américaines.

C’est Paris qui hébergera ce système, dirigé par un banquier allemand. Les trois pays sont signataires de l’accord nucléaire, aux côtés de la Russie et de la Chine. Ces deux « parrains » de Téhéran, dont l’influence va croissant, observent cet effort avec intérêt. La Maison Blanche, quant à elle, cherche à diviser les Européens. C’est l’enjeu à peine voilé de la réunion qui se tiendra les 13 et 14 février à Varsovie, en présence du chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, et du vice-président, Mike Pence.

Les Européens, cependant, ne se font guère d’illusions sur la vraie nature du régime de la République islamique. Depuis 2015, une série d’attaques attribuées au renseignement iranien a visé des opposants iraniens basés dans l’Union européenne. Mais Paris, Berlin et Londres considèrent qu’un isolement total ne peut que profiter à l’appareil sécuritaire iranien à l’intérieur des frontières, et inciter Téhéran à se faire plus menaçant encore au Proche-Orient.

Les Européens tiennent à préserver la possibilité d’un dialogue pour tenter de contenir l’immense influence régionale de l’Iran, qui a largement contribué à sauver le régime de Bachar Al-Assad en Syrie. La diplomatie est aussi indispensable sur l’avenir de son programme nucléaire et sur ses missiles balistiques, qui n’ont cessé de gagner en précision depuis l’accord de Vienne. Echaudés depuis 2015, les dirigeants iraniens ont perdu le goût des négociations solennelles. La ligne européenne, celle d’un dialogue lucide, reste pourtant la seule possible. Ce n’est pas plus d’isolement, mais plus d’ouverture sur le monde qui finira par assouplir le régime.

Quarante ans après la révolution islamique : Instagram en Iran