« Cette journée, ça va permettre de dire au revoir ». Comme de nombreux autres Strasbourgeois, François Hiffler a rejoint, samedi 9 février, l’église Saint-Thomas, au cœur de la capitale alsacienne, pour un hommage cosmopolite et culturel aux victimes de l’attentat du marché de Noël.

Deux mois après l’équipée mortelle de Chérif Chekatt, qui a laissé derrière lui cinq morts et une dizaine de blessés, quelque 350 artistes, musiciens, chanteurs, danseurs ou conteurs ont pris possession de la « cathédrale du protestantisme alsacien ». Concerto de Mozart, flamenco, chansons françaises ou yiddish, poésie et lectures s’enchaînent. Dans les travées, les visages sont graves, les yeux parfois rougis, les sourires un peu tristes. Strasbourg panse encore ses plaies.

« Tous unis contre la barbarie »

Debout au premier rang, un père et sa petite fille de 9 ans tendent un calicot blanc qui proclame : « Tous unis contre la barbarie ». « Nous sommes venus pour montrer notre soutien, notre solidarité, montrer que la vie continue », explique Abel Ouali, un « commerçant strasbourgeois et musulman ». « Nous avons été choqués, bouleversés, sidérés, par cette attaque dans la ville des droits de l’Homme et des libertés », enchaîne-t-il.

Etudiant en médecine, François Hiffler chantait dans une chorale, au côté de « Bartek », figure incontournable de la vie culturelle strasbourgeoise, l’un des cinq morts de l’attentat. Bartek - Barto Pedro Orent-Niedzielski de son vrai nom -, était un touche-à-tout d’origine polonaise, polyglotte, de 36 ans. Choriste, il se produisait régulièrement en l’église Saint-Thomas, qui se souvient de lui aujourd’hui.

Les quatre autres victimes tombées sous le balles de Chérif Chekatt étaient un touriste thaïlandais, un garagiste franco-afghan venu chercher la paix en France, un père de famille strasbourgeois et un jeune journaliste italien, ami de Bartek.

« C’est toujours un peu irréel, quand notre chorale répète, on se surprend à penser que Bartek va venir, lui qui était souvent en retard », confie François Hiffler. À la tête d’une association culturelle, « L’Arrach’Choeur » - une parmi la vingtaine dont l’un des membres a été frappé par l’attentat - il s’est mobilisé pour faire ce qu’il « sait faire de mieux, créer un projet et être le plus rassembleur possible ». « Nous sommes blessés mais pas divisés », insiste-t-il.

Stress post-traumatique

Les premiers rangs sont dédiés aux familles de victimes et aux blessés. Discrètement présents, les psychologues de l’espace d’accueil des victimes veillent. « Le stress post-traumatique des victimes directes, celles qui ont été blessées, est très sévère, certaines sont encore hospitalisées », observe Faouzia Sahraoui, responsable de cet espace qui a reçu des centaines de personnes. « Mais il reste très élevé aussi pour ceux qui ont entendu des coups de feu, quelques-uns sont encore en arrêt de travail », explique-t-elle.

L’hommage se poursuit, « sans discours officiels », comme le souligne Claire Audhuy, cheville ouvrière de la journée. Au lendemain de l’attentat du Bataclan, se souvient-elle, Bartek avait écrit sur son mur Facebook : « Quoi qu’il arrive à mes proches, jusqu’à la fin de mes jours, je resterai non violent ». Sur le livre d’or de cet hommage, quelqu’un s’adresse encore à lui : « Ça t’aurait plu, tous ces gens différents qui se retrouvent pour un tel partage ».

En fin d’après-midi, Pierre, crieur public sur les marchés de Strasbourg, s’adresse à l’assistance dans son bel uniforme bigarré. « On va tous se souvenir jusqu’à la fin de notre vie de ce 11 décembre 2018 », le jour de l’attentat, commence-t-il. Puis, sans filtre, il lit les messages laissés par l’assistance. « D’un petit geste, on a cassé leur vie », a écrit l’un. « On ne vous oubliera pas, vous resterez dans nos cœurs », a ajouté un autre.