Concours d’entrée à l’école Polytechnique. / © École polytechnique/J.Barande (CC by 2.0)

Qui sont les admis des toutes meilleures écoles d’ingénieurs ? En 2018, les 415 reçus à Polytechnique étaient, en écrasante majorité, des hommes (78 %), bacheliers S, titulaires à 92 % d’une mention « très bien » au bac, et à 95 % issus de prépa. Et pas n’importe lesquelles : essentiellement des classes « étoilées » – réservées aux meilleurs, présentes dans une poignée de lycées, en particulier Sainte-Geneviève (Versailles, 85 admis), Louis-le-Grand (Paris, 160 admis) ou Stanislas (Paris, 42 admis). Ces trois lycées à eux seuls remplissent plus des deux tiers de la promotion de l’école de Palaiseau (Essonne).

Au total, seulement 10 lycées ont constitué plus de 80% de la promotion entrée à Polytechnique en septembre 2018, via les concours prépa. Alors qu’il existe plus d’une centaine de lycées proposant, en France, des classes préparatoires scientifiques, comme le montre ce tableau réalisé à partir de données issues des établissements et du magazine L’Etudiant. Et que les concours sont nationaux.

 

Manque de diversité

Les écoles d’ingénieurs les plus cotées recrutent dans une poignée de prépas, lesquelles accueillent une majorité d’élèves de catégories sociales favorisées : le tableau est dressé.

Si Polytechnique accentue ce phénomène, l’observation est dans l’ensemble des écoles d’ingénieurs. Aujourd’hui, ces études sont l’apanage des classes aisées, avec une majorité d’enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures (54 % en 2017 contre 13 % dans la population française). Seules les formations d’ingénieurs au sein des universités sont plus mélangées.

Le taux d’élèves aidés par le Crous – un bon indicateur d’ouverture sociale – reste moins élevé qu’ailleurs : seulement un quart à un tiers des étudiants sont éligibles à ces aides, contre 38 % dans l’ensemble de l’enseignement supérieur. « Les écoles arrivent en bout de chaîne, leur vivier est déjà restreint par le système scolaire, qui agit comme un filtre progressif », analyse la sociologue Marianne Blanchard.

« Pour innover, on a besoin de diversité ! Si au moment de fabriquer une voiture tous les ingénieurs pensent pareil, ce n’est pas intéressant. » Alice Carpentier, de Polytechnique

Ce manque de diversité vaut aussi en matière de féminisation, encore faible, en dépit de diverses actions menées avec l’appui d’associations. Présentes à hauteur de 40 % en S, les filles ne sont plus que 28 % dans les écoles d’ingénieurs, en particulier dans les filières informatique et numérique (16 %). Elles sont en revanche plus nombreuses dans les écoles d’ingénieurs dans les domaines de la chimie ou de l’agriculture. Un choix d’orientation fondé sur des représentations très ancrées, « liées aussi à une certaine méconnaissance des métiers », regrette Laurent Champaney, directeur des Arts et métiers ParisTech et président de la commission Amont de la Conférence des grandes écoles.

Peu à peu, les écoles d’ingénieurs font des efforts pour accueillir une pluralité de profils, en particulier depuis le milieu des années 2000. Une demande des pouvoirs publics et des industries : « Pour innover, on a besoin de diversité ! Si au moment de fabriquer une voiture tous les ingénieurs pensent pareil, ce n’est pas intéressant », résume Alice Carpentier, responsable du pôle diversité et réussite de l’X.

Si Polytechnique, CentraleSupélec, Ponts ParisTech ou encore Mines ParisTech recrutent presque exclusivement après une classe préparatoire aux grandes écoles, davantage d’écoles sont accessibles après le bac en prépa intégrée. La plupart recourent à des concours communs (Puissance Alpha, Avenir, Geipi Polytech), d’autres, comme les INSA, optent pour une sélection sur dossier et entretien. Elle est drastique : 17 800 candidats pour 1 200 places.

Rampe d’accès

Par ailleurs, de plus en plus d’écoles « se sont ouvertes aux bacheliers technologiques ou professionnels, issus de milieux moins favorisés, avec de belles réussites », se félicite Laurent Champaney. Un peu plus nombreux dans les écoles privées, ces profils restent toutefois minoritaires – moins de 10 %. Par le biais des « admissions parallèles », la totalité des formations est aussi accessible aux titulaires d’un bac + 2. Encore timide dans les plus prestigieuses – en 2018, seulement 23 des 420 intégrés à l’X sortent de l’université, souvent après un master –, cette voie procure entre 10 % et 90 % des effectifs dans nombre d’établissements.

En 2017, 15 % des jeunes ingénieurs suivaient leur formation en alternance, soit deux fois plus qu’en 2006.

De l’avis des professionnels, l’alternance est l’outil le plus efficace en matière d’ouverture sociale. C’est une rampe d’accès aux écoles pour des jeunes « qui, pour des raisons économiques, n’auraient pas forcément envisagé des études longues », estime Frédéric Munoz, responsable de la filière par apprentissage à l’INP-Pagora. Spécialisée dans le papier et les matériaux biosourcés, l’école grenobloise affiche 40 % d’alternants parmi ses diplômés, dont une grande partie de boursiers passés par la voie technologique, et vise les 50 %.

Mais globalement, l’apprentissage reste limité : en 2017, 15 % des jeunes ingénieurs étaient concernés, soit deux fois plus qu’en 2006. Mais « des études montrent qu’on pourrait rapidement atteindre 25 %, avec à la clé une véritable diversité sociale », assure Marc Renner, le président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs.