Le FC United of Manchester évolue en National League, la 6e division anglaise de football.

Des écharpes rouges et noires et des chants à la gloire de la « Red Army ». Pas de doute, il s’agit bien d’un match de Manchester United. Mais pas celui que le Paris-Saint-Germain va affronter mardi 12 février lors du match aller des huitièmes de finale de la Ligue des champions. Non, « l’autre » Manchester United. Le FC United of Manchester, son séditieux voisin, qui se débat dans les tréfonds de la National League, la 6e division anglaise.

Ce samedi 9 février, le club reçoit Altrincham devant 2 200 personnes. Un autre Manchester, un autre football. L’histoire d’une scission entre les tenants d’un football populaire et ceux qui ont embrassé le football business dans toute sa splendeur, et avec tous ses excès.

« Nous n’avons pas quitté notre club. C’est notre club qui nous a quittés », explique Adrian Seddon, président du conseil du FC United depuis novembre. Le schisme a eu lieu en 2005 lors du rachat de Manchester United par l’homme d’affaires américain Malcom Glazer.

Des supporteurs échaudés par l’inexorable évolution mercantile du football voient rouge. Ils manifestent dans les rues de la ville mais ne peuvent empêcher le rachat, comme ils y étaient parvenus quelques années auparavant lorsque le magnat Rupert Murdoch lorgnait sur les « Reds Devils ».

Ils décident finalement de créer un autre club. Leur club. Et rarement pronom possessif n’a été aussi bien employé car « concrètement, chaque abonné dispose d’une voix pour élire démocratiquement les dirigeants, et peut décider du prix qu’il paye pour son abonnement », explique Adrian Seddon.

L’initiative n’est pas nouvelle : l’AFC Wimbledon avait été construit sur le même modèle, en 2002. Le Liverpool FC a également vu une partie de ses supporters, rebutés par les prix des places pratiqués à Anfield, quitter le navire en 2008 pour créer l’AFC Liverpool.

« Two United but one soul »

Le FC United of Manchester se dote d’un manifeste de sept commandements, qui édicte des valeurs cardinales du club, comme le maintien de prix abordables pour les supporteurs, un modèle économique et financier qui n’enrichit pas les dirigeants, et l’entretien de liens avec la communauté.

Un lien qui apparaît évident dès la descente du tramway qui mène au Broadhurst Park, loin de Old Trafford, de ses 70 000 places, de son megastore et de ses abonnements hors de prix (685 euros l’année pour le moins cher).

Ici, le match commence au bar du stade, où se côtoient toutes les générations, trois bonnes heures avant le coup d’envoi prévu à 15 heures. On boit, on mange, on discute, et on regarde la fin de la rencontre entre Fulham et Manchester United qui se joue à 13 heures.

Le cordon ombilical avec le glorieux aîné n’est pas coupé. Là n’est pas l’idée : « on a supporté ce club toute notre vie, impossible d’arrêter de regarder leurs matchs du jour au lendemain ! », explique Michael Holdsworth, 35 ans, l’un des administrateurs du FC United et qui, de longues années durant, assistait à tous les matchs de Manchester United, à domicile comme à l’extérieur.

Ils se voient comme une « petite version de Manchester », ou une « part de Manchester United ». Avant le coup d’envoi, une minute de silence est religieusement observée en l’honneur des victimes du crash du 6 février 1958 dans lequel 8 joueurs des Reds Devils, surnommés alors les « Bubsy babes », avaient trouvé la mort.

« Il y a une connexion spirituelle entre les deux clubs », abonde Michael Holdsworth, en citant l’une des devises du club : « Two United but one soul » (« Deux United mais une seule âme »). Si des frictions ont eu lieu entre supporteurs des deux clubs après la scission en 2005, les uns accusant les autres de traîtrise, les différends sont aplanis.

« Dire que mon rêve est de jouer pour Manchester United n’est pas un problème », avance même Josh Hmani, jeune milieu de terrain de 19 ans qui a regardé le match depuis les tribunes.

Des valeurs incompatibles avec le football professionnel

Classé à gauche, « voire à l’extrême gauche par certains qui voulaient nous décrédibiliser », selon Michael Holdsworth, le club se défend de verser dans la politique. Il revendique des valeurs humaines et sociales incompatibles avec le football professionnel, tel qu’il est devenu.

Les 12 salariés du club ne sont pas payés au salaire minimum (« minimum wage »), mais au « living wage », au montant légèrement supérieur et correspondant à la quantité minimale de ressources dont doit disposer un individu pour pouvoir subvenir à ses besoins primaires.

« Nous avons également créé une équipe de réfugiés victimes de torture dans leur pays. Notre stade est ouvert toute la semaine, c’est un lieu de vie » dans ce quartier situé à quelques encablures de Newton Heath, au nord de la ville, là où Manchester United a vu le jour en 1878.

Ici, les petites maisons de briques rouges se succèdent dans une zone où se côtoient verdure et bâtiments industriels. L’équipe a longtemps joué à Bury, bourgade au nord de la grande banlieue de Manchester. Mais le club ne pouvait supporter sur le long terme les 100 000 livres de location annuelle. Il fallait trouver une solution pérenne.

Les supporteurs ont décidé de bâtir leur propre stade. Coût de la construction : 7 millions de livres. Des dons privés et une aide de la municipalité ont permis son érection en 2015. Il est aussi censé redynamiser un quartier « ouvrier », mot pudiquement employé pour évoquer la détresse sociale de la plupart de ses habitants.

« C’est un quartier difficile, mais on veut avancer avec les habitants. On crée de l’emploi. Avant, le chauffeur de bus ne s’arrêtait pas dans ce coin. Ce n’est plus le cas aujourd’hui », s’amuse Lynette, secrétaire du club et guide d’un jour.

« Ils n’ont pas besoin de supporteurs, ils veulent des consommateurs »

Avec ses lunettes rondes et ses joues rosées par le froid, Michael Holdsworth n’en finit pas de pester contre la direction de son ancien club : « ils n’ont pas besoin de supporteurs, ils veulent des consommateurs. Mais l’atmosphère se perd et cette stratégie pourra un jour se retourner contre eux ».

L’argent n’est toutefois pas un tabou. Adrian Seddon sait bien qu’un club, quel que soit son niveau, ne peut fonctionner en se basant sur le seul bénévolat, surtout dans un pays où certains clubs de 7e division sont professionnalisés. Les joueurs du FC United, eux, sont semi-pro et touchent une petite rémunération. Le club est endetté et doit rembourser 3 millions de livres empruntés pour la construction du stade.

« Nous ne sommes pas contre le sponsoring, explique-t-il en montrant les panneaux publicitaires entourant le terrain. Nous cherchons des sponsors locaux, et éthiques, et le maillot restera toujours vierge de publicité car c’est un symbole trop important ».

Pour la petite histoire, le FC United of Manchester s’est incliné deux buts à un face Altrincham, en dépit des chants qui n’ont cessé de résonner durant toute la partie, une ambiance irréelle pour tout spectateur français qui assiste à un match amateur le dimanche après-midi.

Le club pointe à la dix-neuvième place de la National League. Pas une si mauvaise nouvelle, car les victoires entraînent les montées, et donc plus d’argent à débourser pour débaucher et payer des joueurs d’un niveau supérieur. « Notre modèle serait compatible avec le foot de haut niveau si tous les autres clubs faisaient comme nous », plaisante à demi-mots Adrian Seddon, une fois la défaite digérée, le regard porté vers le bar encore bondé plus d’une heure après le coup de sifflet final. Une communauté. Un autre football.