Interminable révolution. Le 11 février, l’Iran fête les 40 ans du soulèvement qui donna naissance à la République islamique. Les associations de quartier ont sorti les fanions. On se chamaille à Karadj (Nord) : le prêcheur de la ville estime que le président du Parlement n’est pas assez « révolutionnaire » pour s’exprimer devant les fidèles, en ce jour pourtant placé sous le sceau de l’« union nationale ». On fait monter la sauce, mais la sauce a un goût amer. L’Iran n’a pas le cœur à la fête.

Un défilé organisé à l’occasion de l’anniversaire de la révolution en 2018, à Hamedan, Iran. / HAMIDREZA AMIRI / EVERYDAY IRAN

Après le retrait des Etats-Unis de l’accord international sur le nucléaire, en mai 2018, un vent de panique a soufflé sur le pays. Il s’est mué, à l’automne, en une franche dépression. Le retour des sanctions américaines et la dépréciation du rial ont plongé une part de la classe moyenne dans la pauvreté. Grèves et manifestations, disparates, se multiplient.

Soyons clairs : la République islamique ne s’écroule pas. John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale américain, avait prédit un peu vite, en 2018, qu’elle « ne survivrait pas jusqu’à son quarantième anniversaire ». Les sanctions américaines renforcent l’appareil sécuritaire. Les bien nommés gardiens de la révolution (la principale force armée du pays) réaffirment leur puissance. Le président Hassan Rohani lui-même devient féroce.

Ce modéré, qui aurait aimé balayer la gloriole révolutionnaire sous le tapis et faire de l’Iran un pays « fréquentable », tente de ne pas perdre la main. Son gouvernement a pris part à une vague de répression massive en 2018. Quelque 7 000 arrestations ont été recensées par l’organisation Amnesty International.

La pression américaine accroît la dépendance de l’Iran à ses parrains russe et chinois, qui l’utilisent comme monnaie d’échange dans leurs propres négociations avec Washington. Cruelle ironie pour cette révolution qui se proclamait « ni d’Est ni d’Ouest ».

Une économie en « longue maladie »

Au Moyen-Orient, cependant, l’Iran demeure la principale puissance, de l’Irak au Liban. Téhéran se tient debout dans les ruines de la Syrie, où le régime de Bachar Al-Assad a survécu à sept ans de guerre. Les forces américaines se préparent à quitter le pays. Vu d’Iran, le retrait régional précipité par Donald Trump est une aubaine. Même si Téhéran craint qu’un désengagement trop rapide d’Afghanistan ne déstabilise son voisin.

Dans un stade de Téhéran lors d’un match de football, en 2018. / MOHAMMAD AHANGARI / EVERYDAY IRAN

Téhéran a connu pire isolement, durant la guerre contre l’Irak (1980-1988), puis durant les manifestations du « mouvement vert », en 2009. Et pourtant… Le baril de pétrole à 100 dollars n’est plus qu’un doux souvenir, et l’usure fait son œuvre. L’économie est victime de ce que l’on nomme pudiquement, dans les nécrologies, une « longue maladie ».

L’Iran peut sans doute tenir ainsi deux ans, jusqu’à la prochaine présidentielle américaine. Si M. Trump est réélu, Téhéran n’aura d’autre choix que de renégocier un accord nucléaire, ou bien d’attiser les tensions régionales, voire de relancer ses centrifugeuses.

Les trentenaires questionnent de longue date leurs parents : pourquoi ont-ils fait cette révolution ?

A l’intérieur du pays, dans les milieux d’affaires comme dans les classes défavorisées, un débat sur les capacités de la République islamique à survivre dans sa forme actuelle a pris corps. Les centres de pouvoir, élus et non élus, se paralysent les uns les autres. Le haut clergé prend ses distances avec la politique. Les divisions intestines liées à la succession du Guide suprême, Ali Khamenei, âgé de 79 ans, n’arrangent rien.

Les trentenaires questionnent de longue date leurs parents : pourquoi ont-ils fait cette révolution ? Chez ceux de 20 ans, un nihilisme inquiétant se répand. La classe moyenne, urbaine et éduquée, demeure pourtant un rempart pour l’Etat. En décembre 2017, elle s’est alignée sur le pouvoir en dénonçant des manifestations qui ont emporté quatre-vingts villes, et dans lesquelles quelques slogans appelaient à la chute de la République islamique.

Les enfants prennent la pose dans la camion agricole à Hamedan, Iran 2018 / FAEZEH HASHEMI /EVERYDAY IRAN

La classe moyenne voit s’effriter le « pacte républicain » qu’elle avait noué avec M. Rohani : la paix sociale contre un certain respect par l’Etat de l’espace privé. Mais elle y tient encore. Elle a trop à perdre d’un changement de régime. Les émeutes, qui reviendront sans doute, sont nées dans des régions marginalisées, parmi les déçus des promesses révolutionnaires, qui ont perdu patience.

Louis Imbert

Nous avons rassemblé ici huit articles, reportages, rencontres, analyses, portraits et portfolio pour décrypter les mutations d’une société iranienne sous pression :

1/ Quarante ans après la révolution islamique, les métamorphoses d’une famille iranienne, par Ghazal Golshiri

Comme toutes les familles iraniennes, les Salimi n’ont pas échappé à l’histoire depuis 1979. Petites épreuves et grandes tragédies ont façonné chaque nouvelle génération, miroir d’une société en pleine transformation.

2/ Rencontre avec Ali Moadab, poète officiel iranien, par Louis Imbert

En Iran, la poésie est une affaire sérieuse pour la société libérale et la contre-culture comme pour les nostalgiques de la révolution. L’Etat en a fait un instrument de propagande. Ali Moadab l’assume.

3/ Manoto TV, au service des nostalgiques de la monarchie iranienne, par Ghasal Golshiri

Basée à Londres, la chaîne de télévision, dotée d’une riche collection d’images d’archives datant d’avant la révolution de 1979, diffuse avec succès émissions et documentaires à la gloire de la dynastie Pahlavi.

4/ A Qom, la discrète émancipation du haut clergé, par Louis Imbert

Les plus hauts clercs du chiisme résident dans cette ville sainte. En Iran, ils représentent la source de la légitimité du pouvoir. Mais ils cherchent à s’en écarter.

5/ Portfolio : #EverydayIran, le compte Instagram qui défie la censure

Seul réseau social échappant à la censure, Instagram est devenu un jeu national populaire. Sans blâme, les photographes amateurs documentent un territoire bâillonné, enrichissant la mémoire visuelle de leur pays.

6/ Le blues des Iraniens de l’étranger, par Louis Imbert

Depuis la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, en juillet 2015, le président Hassan Rohani courtise la diaspora iranienne : environ 1,5 million de personnes dispersées entre Dubaï, la Turquie, les Etats-Unis et l’Europe – principalement en Allemagne et en Suède. Mais ceux qui ont tenté l’aventure se sont heurtés à la méfiance de l’Etat et aux sanctions américaines.

7/ L’Iran, quarante ans d’une obsession américaine, par Louis Imbert

Neuf mois après le début de la révolution islamique iranienne, le 4 novembre 1979, l’ambassade américaine à Téhéran est prise d’assaut. Pendant 444 jours, 52 ressortissants américains vont être retenus en otage. L’impuissance du président des Etats-Unis, Jimmy Carter, précipitera sa défaite à l’élection présidentielle de 1980.

8/ L’éditorial du Monde : le sombre anniversaire de la révolution de 1979

Quarante ans après le soulèvement qui donna naissance à la République islamique, les institutions sont grippées, l’économie est en crise et le pays est isolé sur la scène internationale.