Alexis Pinturault au slalom de Schladming, l’un de ses trois podiums du mois de janvier. / Marco Tacca / AP

Il y a un an bientôt, Alexis Pinturault glissait aux micros tendus ces quelques mots, après avoir obtenu sa deuxième médaille aux Jeux olympiques de Pyeongchang : « On peut encore dire qu’Alexis Pinturault n’est pas l’homme des Mondiaux, mais les Jeux, ça l’air de plutôt bien fonctionner. » Il venait de cocher une case. Pourra-t-il en faire de même à l’issue de cette deuxième semaine des championnats du monde de Are (Suède), où il vise une médaille dans trois disciplines - combiné lundi, slalom géant vendredi et slalom dimanche ?

Que Pinturault réussisse enfin des Mondiaux à la hauteur de son talent - il ne compte jusqu’à présent qu’une médaille de bronze, en géant en 2015 - clarifierait sa place dans l’histoire du ski français. L’impression demeure que « Pintu » n’a pas ici le statut qui sied à son palmarès, presque unique dans nos frontières et ce malgré la présence face à lui de l’anomalie Marcel Hirscher.

Dans les faits, il est dans le sillage de l’icône Killy. Mais on retient davantage ses défaites face à Hirscher et ses larmes aux Mondiaux de Saint-Moritz, il y a deux ans, quittés fanny. Il faudrait, sans doute, poser quelques médailles d’or mondiales en haut de la pile pour corriger l’image qui lui colle à la peau, celle d’un type ultra-talentueux monté trop vite et à qui il manqua toujours quelque chose pour faire partie des grands.

« Avec Pinturault, on a voulu aller trop vite »

« Il a été souvent critiqué dans la presse alors que c’est notre cador », déplore Frédéric Perrin, entraîneur des Français dans les disciplines techniques. Puis il admet : « On l’a peut-être vu plus beau que ce qu’il était. On a voulu aller trop vite aussi, on s’est planté à un moment. »

Avant ses 20 ans, Alexis Pinturault décrochait le premier de ses 52 podiums en Coupe du monde ; Ted Ligety, virtuose du slalom géant, adoubait le futur monstre présumé d’une discipline que le Français, finalement, ne dominerait jamais tout à fait. Le grand public découvrait ce risque-tout ambitieux, né sur des skis à Courchevel, où papa gère l’hôtel cinq étoiles de la station. Il ne lui fallait pas plus de deux ans pour évoquer ses rêves de gros globe de cristal, synonyme de victoire au classement général de la Coupe du monde. L’équipe de France et lui faisaient le choix de renforcer sa polyvalence, jouant sur sa capacité à exister dans les cinq disciplines, cependant que Hirscher préférait marquer de gros points dans les disciplines techniques. L’un compte sept gros globes de cristal, l’autre zéro.

A 27 ans, Pinturault s’est adapté et a délaissé l’entraînement en vitesse pour prioriser le géant et, surtout, le slalom. Bingo : il a décroché en janvier ses premiers podiums en slalom - trois fois - depuis 2014. Au classement général, il est deuxième à des années-lumière de Marcel Hirscher et pourrait monter, en fin de saison, une troisième fois sur le podium final de la Coupe du monde. Il assure ne jamais imaginer ce à quoi aurait ressemblé sa carrière sans l’Autrichien, encore moins souhaiter son départ : « J’ai l’impression que Henrik (Kristoffersen) a envie que Marcel s’en aille. Moi je me dis que la victoire n’est que plus belle dans l’adversité, dit-il au Monde. Quand on gagne devant Hirscher, c’est un peu plus particulier. Il nous apprend à repousser nos limites, à trouver des solutions pour progresser. S’il n’avait pas été là, je n’aurais pas appris autant à me connaître dans mes échecs. Marcel, c’est un apprentissage de vie. »

« Il tape la tête dans le mur plusieurs fois avant de changer »

Pinturault semble parfois admirer celui qui le devance depuis le début de sa carrière, un sentiment déconseillé aux compétiteurs. « Alexis a voulu suivre la même route que Marcel Hirscher pendant des années, faire du copier-coller alors qu’il y a plein de choses différentes, à commencer par la culture, observe Perrin. Alexis trace enfin sa propre route, avec son approche. Il se construit. Il y a eu une prise de conscience et on peut avancer. »

Poncif éculé de la chronique sportive : un athlète qui approche la trentaine et a pris quelques baffes dans la compétition a forcément « mûri ». Devinez quoi : « Pinturault a mûri, assure Perrin. Il est en train de comprendre. Il s’entraîne mieux, teste son matériel de manière plus professionnelle, a changé de technicien pour préparer ses skis, ce qui l’aide aussi beaucoup. Il est en train de stabiliser certaines choses. Mais c’est une bonne tête de caboche (sic). Il tape la tête dans le mur plusieurs fois avant de changer des trucs, comme pas mal d’athlètes de haut niveau. »

Son organisation personnelle, sujet qui a pris beaucoup d’énergie à Pinturault ces dernières années, semble enfin convenir au skieur comme à la fédération. S’il n’a pu rééditer la coupure totale observée l’an dernier avant les JO de Pyeongchang, lorsqu’il avait quitté les skis pour observer les baleines à Okinawa avec sa femme - et attachée de presse -, le Savoyard dit s’être ménagé du repos en janvier. Suffisant pour arriver plus léger qu’aux Mondiaux de Saint-Moritz, où il avait explosé sous la pression ?

Pinturault : « J’ai compris qu’aux championnats du monde aussi il faut s’amuser, prendre des risques, il n’y a qu’ainsi que ça peut marcher. » Et faire en sorte que l’on arrête de penser qu’Alexis Pinturault n’est pas un homme des Mondiaux.