Dans l’usine du groupe belge AB InBev, située dans la périphérie de Lagos, au Nigeria, en novembre 2018. / STEFAN HEUNIS / AFP

Chaque soir, des milliers de travailleurs se retrouvent coincés dans les interminables bouchons de Lagos. Dayo et ses amis préfèrent laisser passer l’heure de pointe en regardant la Ligue des Champions de football, avec une bière fraîche et un bol de soupe pimentée. « C’est le meilleur moyen de tuer le temps, parce que la circulation est vraiment infernale », explique l’homme, assis dans un petit bar de rue équipé d’un écran géant. « Il y a un match, et la bière ne manque jamais. »

Au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, les multinationales de la bière se livrent une guerre impitoyable. L’enjeu : un marché sous-exploité au potentiel gigantesque. Plus de la moitié des 190 millions d’habitants ont moins de 30 ans. Les Nigérians, pour la moitié musulmans, ne boivent « que » 9 litres de bière par personne et par an, des chiffres bien en deçà des 57 litres absorbés en moyenne par les Sud-Africains selon une étude du cabinet Euromonitor.

« C’est la guerre de la bière »

Pendant longtemps, Nigerian Breweries a dominé l’industrie locale grâce à des marques comme Gulder, Star et la mondialement connue Heineken. Mais cet âge d’or pourrait bien être révolu. Car l’arrivée récente du géant belge Anheuser-Busch InBev (AB InBev) menace cette situation de quasi-monopole. Le groupe a ouvert une usine flambant neuve en périphérie de Lagos et vient de lancer Budweiser sur le marché, pour contrer le succès de Heineken et s’attirer les faveurs des « millennials », la nouvelle génération de consommateurs africains.

Concerts, fashion weeks, soirées à bord de bateaux : pour séduire la jeunesse, les brasseurs sponsorisent des événements glamour et rivalisent de campagnes de communication agressives. Des panneaux publicitaires géants dominent l’horizon de Lagos, mégapole de 20 millions d’habitants. Et les représentants de brasseries font la cour aux propriétaires de restaurants et de clubs pour leur proposer les meilleurs tarifs à la vente.

« Les gros poissons commencent à comprendre qu’il y a un nouveau shérif en ville. C’est la guerre de la bière », affirme à l’AFP avec une pointe d’ironie Tony Agah, le responsable de l’usine AB InBev. Son site de production de bière, le plus grand d’Afrique de l’Ouest, est sorti de terre au milieu de la végétation luxuriante, sur un terrain destiné à accueillir une zone d’activité industrielle. Des bouteilles vertes de Trophy et brunes de Budweiser défilent à la chaîne sur des tapis roulants automatisés, dans un gigantesque labyrinthe d’acier. L’air est humide et chargé d’odeurs de céréales : les effluves de la fermentation.

Déficit d’infrastructures

Avant d’ouvrir cette brasserie, AB InBev a dû réparer les routes percées de nids-de-poule et installer six générateurs de 12 mégawatts chacun pour pallier les incessantes coupures d’électricité. « Dans un monde normal, je produirais juste de la bière. Mais ici je produis de la bière et de l’électricité », sourit M. Agah, lui-même nigérian. Pourtant, pour les investisseurs et les industriels, le principal problème n’est pas le déficit d’infrastructures, mais l’instabilité de la politique économique.

Il y a deux ans, le Nigeria a sombré dans la pire récession de son histoire, due notamment à la chute du prix du pétrole (produit qui représente l’immense majorité de ses exportations) qui a entraîné une importante pénurie de dollars dans ses caisses. En 2016 et début 2017, il était ainsi extrêmement difficile pour les multinationales d’importer leurs matières premières. Et les politiques interventionnistes des autorités – qui fixent notamment des taux de change différents selon les produits – n’ont rien pour encourager les investisseurs.

Mais qu’importent les obstacles, les promesses du marché local et de ses dizaines de millions de consommateurs priment pour les brasseurs. « C’est un investissement sur le long terme avec de grandes opportunités », explique Emmanuel Oriakhi, directeur de Nigerian Breweries, relevant que « beaucoup de monde fait encore son alcool de manière artisanale, dans son jardin ou son arrière-cour ». Devant l’arrivée d’AB InBev, le dirigeant affiche sa confiance, du haut de ses 60 % de parts de marché. « Nous sommes prêts à affronter n’importe quel combat », lance-t-il dans un large sourire. « Ils sont les bienvenus, ça ne fera que rendre les choses plus intéressantes. »