CHRONIQUE. Faut-il vraiment s’en réjouir ? Comme toujours depuis la première édition, en 1987, l’équipe de France est qualifiée d’office pour la prochaine Coupe du monde au Japon (20 septembre au 2 novembre). Merci le rugby, ce sport où dix pays forment un club privé au niveau international et sont dispensés de passer par la case « qualification ». Une tentative peu probante a bien eu lieu pour la Coupe du monde en 1999, l’occasion pour les Anglais d’infliger 110 points à des Néerlandais qui passaient par là.

Les Bleus ont certes un peu mieux résisté au XV de la Rose, dimanche 10 février à Twickenham (44-8), mais cette défaite démontre, dans toute sa cruauté, qu’un monde sépare les joueurs de Jacques Brunel d’une équipe qu’ils sont amenés à retrouver dès le premier tour au Japon.

Ajoutez-y la présence de l’Argentine et même des Tonga – dont le souvenir douloureux de 2011 doit traverser l’esprit des Guirado, Picamoles et Parra déjà présents à l’époque – et le spectre d’un retour express au pays devient une hypothèse aussi redoutée que plausible.

Pas de résultats, pas de plan de jeu, un sélectionneur amorphe

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Si le président de la Fédération française de rugby (FFR), Bernard Laporte, assurait, en novembre 2018 au micro de RMC Info, que les Bleus n’avaient, dans l’absolu, rien à envier aux autres équipes, en dehors des Néo-Zélandais – et à la rigueur des Irlandais magnifiés par leur grand chelem dans le Tournoi –, les chiffres montrent une autre réalité.

Dans le dernier classement mondial Word Rugby, la France occupe la 10e place, mais se trouve plus proche en nombre de points de l’Espagne (21e) que des intouchables All Blacks.

A Twickenham, on a vu une équipe récitant son rugby avec dix coups d’avance face à la ligue d’improvisation tricolore. Les Français prennent le ballon et réfléchissent après, dans le meilleur des cas.

Pas de résultats, pas de plan de jeu, un sélectionneur amorphe persuadé d’avoir vu « des choses intéressantes en seconde mi-temps », ce XV de France fonce dans le mur tel Mathieu Bastareaud dans les défenses adverses et s’étonne d’avoir un mal de crâne persistant depuis bientôt huit ans.

Qu’attendre alors de la campagne japonaise ? On connaît le refrain : avec une grosse préparation physique, des heures à pédaler sur leurs Wattbike, un malentendu et parce qu’on « est des compétiteurs », comme bégayent les joueurs, il y a toujours moyen de s’incruster, ni vu ni connu, jusqu’aux demi-finales.

Mais faisons un rêve. Et si perdu pour perdu, le rugby français se servait de la Coupe du monde 2019 pour déjà préparer celle de 2023 qui sera organisée sur son sol ?

Tourner la page d’une génération qui ne connaît que la défaite

Attendez avant de hurler au mauvais Français. L’idée paraît saugrenue pour une sélection qui ne voit jamais plus loin que le match suivant et dont le joueur encensé le samedi est brûlé sur la place publique le lundi. Osons la planification, osons le temps long, osons – attention ça risque d’être disruptif – installer des garçons aux postes-clés et leur accorder un bail de quatre ans.

La jeunesse n’est pas une qualité en soi, mais c’est elle qui remettra le navire à flot. Autant la mettre tout de suite au pouvoir, rendre sa liberté à une génération – celle des Picamoles, Guirado, Bastareaud, Parra – trop imprégnée par l’odeur de la défaite, comme l’a suggéré Olivier Magne dans un récent entretien à Midi olympique.

L’ancien troisième-ligne, ex-international, n’exigeait pas des têtes par pure méchanceté, il demandait juste à tourner une page tout de suite pour mieux préparer le chapitre suivant.

Avec le titre des champions du monde des moins de 20 ans, en juillet 2018, le rugby français perçoit enfin une éclaircie dans son ciel gris. Alors pourquoi ne pas installer dès à présent les plus précoces et prometteurs de ces champions du monde ?

Définir un jeu, une stratégie

GLYN KIRK / AFP

Le pilier Demba Bamba a déjà les épaules solides pour le niveau international, Romain Ntamack est considéré comme l’ouvreur des années à venir, alors pourquoi ne pas lui donner les clés du camion dès à présent ? Autre question : pourquoi exiler Gaël Fickou (24 ans) à l’aile quand il mange la concurrence cette saison en Top 14 au poste de centre ?

Les Irlandais ne dérogent jamais à leur charnière Murray-Sexton. Pourquoi de pas les copier avec Dupont-Ntamack ? Il l’a encore prouvé lors de son entrée face aux Anglais, le demi de mêlée Antoine Dupont (22 ans) est un joueur rare, capable de casser les placages adverses et d’amener de la folie.

Le Toulousain doit peut-être encore s’améliorer dans la gestion ou le jeu au pied, mais il progressera en se trompant, en enchaînant les matchs internationaux. Un Jonny Wilkinson n’était pas non plus un produit fini quand son sélectionneur, Clive Woodward, l’a installé comme le no 10 inamovible de l’Angleterre à la fin des années 1990.

Au-delà du choix des hommes, des goûts et des couleurs, il s’agit de définir un jeu, une stratégie. Et pour cela, il faut arrêter de fouiller dans les tiroirs pour voir si on peut toujours trouver mieux à tel ou tel poste.

Aujourd’hui, le XV de France vit son année zéro. Tout est à reconstruire. Alors autant commencer tout de suite avec de nouvelles pierres. Il faudra être patient et indulgent. Pardonner à cette jeunesse ses scories à venir, la rassurer. C’est beau le Japon à l’automne pour tout recommencer.