Ils errent en bande, attaquent les gens dans la rue, s’invitent dans les immeubles d’habitation ou font les poubelles, comme l’illustrent de nombreuses vidéos. Les autorités de Nouvelle-Zemble, cet archipel russe de la mer de Barents, ont décrété samedi 9 février l’état d’urgence face à l’« invasion » de dizaines d’ours blancs agressifs (Ursus maritimus), aussi connus sous le nom d’ours polaires, victimes du dérèglement climatique et de la fonte des glaces.

Les autorités régionales de l’archipel, peuplé de 3 000 personnes, sont confrontées à ce phénomène depuis décembre. Une cinquantaine d’ours polaires rendent régulièrement visite à Belouchia Gouba, le plus grand village des îles, où est basée une garnison militaire russe. « Je suis en Nouvelle-Zemble depuis 1983, mais je n’ai jamais vu une invasion si massive d’ours polaires », assure dans un communiqué le chef de l’administration de Nouvelle-Zemble, Jigancha Moussine. Certains animaux font preuve d’un « comportement agressif », rapporte aussi son adjoint, Alexandre Minaïev :

« Ils attaquent les gens et pénètrent dans des immeubles d’habitation et de service. Entre six et dix ours polaires se trouvent en permanence sur le territoire du village. Les gens sont effrayés, ils ont peur de sortir de la maison (…), les parents ont peur de laisser leurs enfants aller à l’école. »

Réfugiés climatiques

Les ours polaires de Nouvelle-Zemble sont des réfugiés climatiques. Comme leurs cousins des Etats-Unis, du Canada ou du Groenland, ils sont victimes du réchauffement global, et la fonte des glaces dans l’Arctique les force à passer plus de temps à la recherche de nourriture. En février 2018, les travaux de scientifiques états-uniens et canadiens publiés dans la revue Science ont confirmé que le réchauffement mettait en danger cette espèce emblématique de l’Arctique.

« Les ours polaires dépendent du succès de leur chasse au printemps et au début de l’été pour survivre, se reproduire et allaiter leurs petits », écrit pour sa part le Fonds mondial pour la nature (WWF). Pour survivre, un individu adulte a besoin de dévorer de 50 à 60 phoques par an. « Des scientifiques ont démontré que la cause principale de mortalité chez les oursons était le manque de nourriture, et notamment un lait trop pauvre en graisse. A cela s’ajoutent des cas de cannibalisme des grands mâles, qui peuvent s’attaquer aux oursons en période de disette », ajoute le WWF.

La disparition de la banquise réduit le territoire de chasse de l’ours et raccourcit sa période de chasse, d’où l’allongement de son jeûne et un état de santé qui décline. Enfin la glace, moins épaisse, peut dériver au gré des vents et des courants, emportant les ours en pleine mer. Les animaux doivent alors s’épuiser à nager pour trouver des plaques de glace plus hospitalières ou regagner la terre ferme. Des ours en mauvaise santé se reproduisent moins, ce qui peut conduire à une raréfaction de l’espèce au niveau local.

Pas d’abattage prévu pour l’instant

Faute de pouvoir chasser, les ours polaires, qui sont généralement des animaux solitaires, constituent des bandes, se rapprochent des habitations, attirés par les odeurs et les déchets, entrant en interaction avec les humains.

Pour l’heure, les autorités de Nouvelle-Zemble cherchent à chasser les ours polaires des immeubles d’habitation à l’aide de véhicules de patrouille et de chiens. « Mais ces mesures n’ont pas l’effet recherché », constatent-elles dans leur communiqué. Si le recours à des signaux lumineux et sonores n’aide pas à régler le problème, « l’abattage des animaux pourrait être la seule mesure qui s’imposera pour assurer la sécurité » des habitants, ont-elles averti.

Pour le moment, l’agence fédérale russe chargée de la surveillance de l’environnement refuse d’autoriser l’abattage des « animaux les plus agressifs », mais elle a décidé d’envoyer dans l’archipel une commission pour évaluer la situation.

Embarquées sur des ours polaires, des caméras montrent la survie difficile sur la banquise
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