A l'Institut de recherche sur la biologie de l'insecte de Tours, jeudi 24 janvier 2019. / CYRIL CHIGOT POUR LE MONDE

Editorial du « Monde ». Evidemment, la menace de disparition des éléphants ou des rhinocéros des savanes africaines provoque davantage d’émotion que le déclin rapide des mouches, pucerons, fourmis ou coléoptères sur la surface de la planète. Il n’empêche : la disparition accélérée, depuis quelques décennies, de toutes sortes d’insectes est largement aussi inquiétante – et plus problématique – que celle des grands mammifères.

Tel est le cri d’alarme lancé, après bien d’autres, par des chercheurs australiens. Ils ont compilé et synthétisé quelque soixante-dix études à long terme, menées par des scientifiques du monde entier, sur l’évolution des populations d’insectes. Ce premier rapport mondial sur le sujet vient d’être publié. Ses conclusions sont impressionnantes : au total, de l’ordre de 40 % des espèces d’insectes sont en déclin continu depuis une trentaine d’années et leur taux d’extinction est beaucoup plus rapide que celui des mammifères, des oiseaux ou des reptiles.

Au rythme actuel, estiment les chercheurs, la plupart des insectes pourraient avoir disparu de la planète d’ici un siècle, si l’on n’y prend garde. Le phénomène est général puisqu’on l’observe aussi bien en Australie qu’en Allemagne, à Porto Rico qu’en France – où tout automobiliste d’un certain âge peut constater que son pare-brise n’est presque plus moucheté, comme autrefois, d’insectes écrasés.

Des conséquences catastrophiques

La belle affaire ! diront les âmes sensibles ou aseptisées, débarrassées de ces petits animaux agaçants, urticants ou piquants. Réaction à très courte vue si l’on veut bien se rappeler que les insectes sont des acteurs essentiels de la biodiversité, car ils sont à la base de très nombreux écosystèmes naturels : leur disparition ne manquerait pas d’avoir des conséquences catastrophiques à la fois sur les autres espèces qui s’en nourrissent (oiseaux, reptiles, amphibiens, etc.) et seraient menacées à leur tour, mais aussi sur nos productions et régimes alimentaires.

Les cultures pollinisées par les insectes assurent plus du tiers de l’alimentation à l’échelle mondiale. L’exemple des abeilles est bien connu, mais il est très loin d’être le seul. Pour la communauté scientifique, l’origine de ce problème planétaire ne fait guère de doute : l’urbanisation, la déforestation et la pollution sont dévastatrices pour les insectes. Mais, plus encore, l’intensification de l’agriculture depuis un demi-siècle et l’utilisation généralisée de pesticides, en particulier les néonicotinoïdes massivement répandus depuis une vingtaine d’années.

La France ne fait pas exception

Le cercle vicieux est redoutable : plus l’agriculture moderne utilise de pesticides pour améliorer ses rendements et nourrir l’humanité, plus elle fait disparaître les puissants mécanismes naturels de pollinisation par les insectes – et favorise, en outre, le développement d’insectes ravageurs, résistants aux insecticides et qui s’attaquent aux cultures.

Face à cette menace majeure sur la biodiversité, l’impuissance des autorités publiques est aussi évidente qu’accablante. La France ne fait pas exception, loin de là. Le plan Ecophyto, adopté en 2008, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, prévoyait de diviser par deux, en dix ans – « si possible », était-il prudemment précisé –, l’usage de pesticides. Le constat d’échec est patent : en 2018, loin de diminuer, leur utilisation a augmenté de 22 %. Les palinodies des gouvernements successifs sur la suppression du glyphosate confirment cette coupable cécité.