Erwan FAGES

Marie-Victoria, Morgane, Sarah et Imane étudient dans une grande école de management ou d’ingénieurs. Avant d’y entrer, elles ont validé un BTS, un DUT ou un ­bachelor. Ces profils gagnent du terrain depuis une vingtaine d’années, à mesure que les voies d’accès aux grandes écoles se sont diversifiées. Près du tiers des entrants en école d’ingénieurs et plus de la moitié des étudiants en management viennent de « voies parallèles ». Ils sont admis, sur concours, sans être passés par une classe préparatoire après le bac. Leur principal atout : leur connaissance des matières ­professionnelles et du monde du travail.

Concours diversité

La coloration professionnelle du CV de Marie-Victoria Touchelet, 21 ans, saute aux yeux. « J’ai trois ans d’expérience en entreprise, et pas seulement en tant que stagiaire », insiste la jeune femme. Elle a suivi un BTS ­commerce international, puis un bachelor à l’ESG Tours, en alternance. Aujourd’hui inscrite à l’EDC Paris Business School, ­Marie-Victoria estime avoir ­ « appris le commercial sur le ­terrain ». Lorsqu’elle a intégré le programme grande école (PGE) de l’EDC, elle a été frappée par ­ « l’appréhension de certains ­camarades passés par des prépas à l’égard du monde du travail, des collègues, des supérieurs hiérarchiques ». Marie ­Pfiffelmann, directrice déléguée du PGE de l’EM Strasbourg, la ­rejoint. « Ceux qui arrivent en ­admissions parallèles ont une maturité plus forte, sont plus autonomes et connaissent mieux le monde de l’entreprise que ceux qui viennent d’une classe prépa. »

« Pour que ma place à l’EM Strasbourg soit conservée, la condition était de ne pas redoubler en DUT », Sarah El Janati

A l’instar de Morgane Reimliger et Sarah El Janati, 60 % des ­étudiants de cette école de commerce sont issus de voies d’admission parallèles. Parmi eux, 3 sur 10 sont titulaires d’un BTS, comme Morgane. Après son BTS management des unités commerciales, elle a réussi le concours. « On m’avait dit que ce serait difficile. J’ai réussi à gérer les cours, les révisions, mes stages et mon travail », témoigne-t-elle. Sarah, elle, s’est assuré une place dans ce programme dès la terminale. A l’époque, elle voulait « du concret et des stages » et ne s’imaginait donc pas en classe préparatoire.

Sur le Web, cette boursière « échelon 6 » – le niveau 7 étant le plus élevé – découvre l’existence du concours diversité de l’association Passerelle, ouvert aux élèves de terminale, qui prend en compte des critères économiques et sociaux, et ­permet d’assurer sa place en école de commerce à la sortie d’un DUT. Avec « 14-15 de moyenne en terminale ES », Sarah a été admise sans peine dans un DUT partenaire de l’école. « Pour que ma place à l’EM Strasbourg soit conservée, la condition était de ne pas redoubler en DUT », ­explique-t-elle.

Des écarts gommés

En première année d’école de management, Sarah explique avoir étudié « toutes les matières professionnelles dont [elle] avai[t] ­acquis les bases pendant [s]on DUT ». La jeune femme de 23 ans poursuit : « Les élèves de prépas se pensaient plus légitimes que nous au départ. Finalement, ils sont bien préparés au concours mais moins bien aux cours », juge-t-elle. Points faibles de ceux qui ne sortent pas de classe préparatoire ? « Ils n’ont souvent qu’une seule langue vivante et sont moins à l’aise dans la rédaction et la prise de hauteur », note Marie Pfiffelmann.

Selon Sarah, la prépa permet d’acquérir « de meilleures méthodes de travail et d’être plus efficace en termes de gestion du temps qu’après un DUT ». La ­directrice déléguée du PGE de l’EM Strasbourg assure que ces écarts sont gommés dès la deuxième année.

« Peu importe d’où l’on vient, on peut aller où l’on veut avec du ­travail et de la volonté », généralise Anas Fatahallah, 22 ans, aujourd’hui en première année à la Montpellier Business School. « Mes parents n’ont pas fait d’études supérieures, mais ils voulaient que je réussisse », confie le jeune homme. A la fin du collège, celui qui n’est « pas très bon élève » est « orienté en bac pro ». On lui propose la mécanique. Il choisit le commerce. « J’avais bien aimé le relationnel lors de mon stage de troisième dans un magasin. » En bac pro, il plafonne à 17-18 de moyenne générale. « Dès la première semaine de stage en entreprise, je me suis promis de ne pas finir vendeur », se souvient-il. Il se projette alors en BTS ou en DUT.

Deux images

Une visite dans une classe le fait changer d’avis : il rencontre les ­représentants de la prépa économique commerciale technologique du lycée René-Cassin, à Strasbourg, l’une des rares ­classes ­préparatoires françaises réservées aux bacheliers de la voie professionnelle. Anas l’intègre. Après ce cursus de trois ans, il décroche sa place : « 500e sur 5 000 personnes au moins, au même concours que les bacheliers technologiques, lance-t-il, tout sourire. Mes parents sont très fiers. »

A l’Ecole nationale du génie de l’eau et de l’environnement de Strasbourg (Engees), la diversification des publics se résume de prime abord en deux images : une photo de promo des années 1960, exclusivement masculine. Et le trombinoscope de la promo en cours, dans le bureau de la directrice des études, sur ­lequel figurent plus de 50 % de filles. Ce qui ne se voit pas, sur ces images, c’est qu’« un quart des élèves admis ces cinq dernières ­années ont intégré une promotion en “admission sur titre”, c’est-à-dire après un BTS (pour 9 % d’entre eux), un DUT (10 %) ou une licence (6 %) », détaille Marianne Bernard, directrice des études au sein de l’école.

« Mise à niveau »

Toute admission sur titre à l’Engees passe par l’étude du dossier du candidat, une épreuve de deux heures en physique et mathématiques, ainsi qu’un ­entretien de motivation. Les ­admis sur titre rentrent une ­semaine plus tôt pour participer à une session de maths intensive. « Certains ont eu besoin de passer par une prépa ATS [adaptation technicien supérieur] pour se rassurer avant de tenter l’admission sur titre », ­observe-t-elle.

« Un quart des élèves admis ces cinq dernières années ont intégré une promotion en “admission sur titre” », Marianne Bernard

Imane Nadam, 22 ans, fait partie de ceux-là. Avec du recul, elle juge qu’elle aurait pu se passer de cette prépa ATS « en préparant bien l’examen ». A la fin de son BTS ­Gemeau (Gestion et maîtrise de l’eau), elle est la seule de sa promo à avoir tenté d’intégrer une école d’ingénieurs. Une possibilité qu’elle a découverte en cherchant une licence professionnelle en hydraulique.

En entrant à l’Engees, la jeune femme ne s’est pas sentie en difficulté : « On commence par une année de mise à niveau. Chacun a des facilités dans des domaines différents, selon qu’il a déjà fait de l’hydraulique ou qu’il sort de prépa bio ou physique. » L’élève ingénieure planche actuellement sur son projet de fin d’études « sur l’irrigation à Haïti ». Lors du récent gala annuel de l’école strasbourgeoise, trois des cinq meilleurs projets de fin d’études présentés ont été réalisés par des ingénieurs passés par un BTS, un DUT ou une licence. Entrer par la petite porte n’empêche pas de sortir par la grande.